Cocteau Twins
“HEAVEN OR LAS VEGAS” 4AD
En Angleterre, c’est une presque institution ; en France, une grossière méprise : comme les Banshees, les Cocteau Twins ont toujours été accolés à un public et une scène dont ils n’avaient que faire et, côté ricaneurs, il y a toujours eu méfiance quant au sujet de fond. Parlent-ils aux arbres, aux anges, aux fonds de tasse à café ? En vérité, ils n’ont jamais rien voulu faire d’autre que leurs disques, boire des verres et regarder le foot à la télé, comme toute le monde. En se coltinant tous leurs albums et EP, il est impressionnant de suivre une véritable progression stylistique depuis la noirceur manifeste de “Garlands” (1982) jusqu’à “Heaven Or Las Vegas” (1990), via les dentelles de “Treasure”, les glaces antarctiques de Victorialand (autre chef d’oeuvre), ou encore Blue Bell Knoll. “Heaven”, ce grand défi à l’obscurité où les photons passés en prisme dégorgent toutes leurs chromies, un choc comme la vue de certains plafonds d’églises vénitiennes peuvent provoquer... C’est une échelle de Jacob à sens unique (de l’espace, la vue est imprenable). Tout l’art de Cocteau Twins se fond dans les couleurs du tableau, dans cette production magnifiée depuis presque une décennie par Robin Guthrie. Et cela tient du miracle : en 1990 (soit à peine trois ans après avoir produit “Mother Juno” du Gun Club), l’artificier en chef s’embourbe copieusement dans la dope ; Elisabeth Frazer suit une thérapie psychanalytique lourde et le couple, à la ville, est dans l’impasse. C’est là le grand paradoxe de ce groupe qui débite autant de lumière qu’une galaxie tout entière (Kevin Shields de My Bloody Valentine saura s’en souvenir, faisant de “Loveless”, via “Blown A Wish”, une issue possible). Ici, nul besoin d’artifices — et c’est là leur grandeur — pour apprécier pleinement les constellations visibles à l’oeil nu - qu’on en juge : “Cherry-Coulored Funk”, “Iceblink Luck”, “Heaven Or Las Vegas”, la cathédrale ternaire “Fotzepolitic” jusqu’au final au titre ahurissant “Frou Frou Foxes In Midsummer Fire”, mains jointes au ciel lorsque vient le matin dégueulasse après une nuit de veille, les yeux grands ouverts. Quelle importance si on n’arrive toujours pas à comprendre les paroles de la Frazer, sa glossolalie ; ce sont les impressions qui comptent, les images que cela engendre. Et ce groupe en avait à revendre.