Rock & Folk

Cocteau Twins

- SAMUEL RAMON

“HEAVEN OR LAS VEGAS” 4AD

En Angleterre, c’est une presque institutio­n ; en France, une grossière méprise : comme les Banshees, les Cocteau Twins ont toujours été accolés à un public et une scène dont ils n’avaient que faire et, côté ricaneurs, il y a toujours eu méfiance quant au sujet de fond. Parlent-ils aux arbres, aux anges, aux fonds de tasse à café ? En vérité, ils n’ont jamais rien voulu faire d’autre que leurs disques, boire des verres et regarder le foot à la télé, comme toute le monde. En se coltinant tous leurs albums et EP, il est impression­nant de suivre une véritable progressio­n stylistiqu­e depuis la noirceur manifeste de “Garlands” (1982) jusqu’à “Heaven Or Las Vegas” (1990), via les dentelles de “Treasure”, les glaces antarctiqu­es de Victoriala­nd (autre chef d’oeuvre), ou encore Blue Bell Knoll. “Heaven”, ce grand défi à l’obscurité où les photons passés en prisme dégorgent toutes leurs chromies, un choc comme la vue de certains plafonds d’églises vénitienne­s peuvent provoquer... C’est une échelle de Jacob à sens unique (de l’espace, la vue est imprenable). Tout l’art de Cocteau Twins se fond dans les couleurs du tableau, dans cette production magnifiée depuis presque une décennie par Robin Guthrie. Et cela tient du miracle : en 1990 (soit à peine trois ans après avoir produit “Mother Juno” du Gun Club), l’artificier en chef s’embourbe copieuseme­nt dans la dope ; Elisabeth Frazer suit une thérapie psychanaly­tique lourde et le couple, à la ville, est dans l’impasse. C’est là le grand paradoxe de ce groupe qui débite autant de lumière qu’une galaxie tout entière (Kevin Shields de My Bloody Valentine saura s’en souvenir, faisant de “Loveless”, via “Blown A Wish”, une issue possible). Ici, nul besoin d’artifices — et c’est là leur grandeur — pour apprécier pleinement les constellat­ions visibles à l’oeil nu - qu’on en juge : “Cherry-Coulored Funk”, “Iceblink Luck”, “Heaven Or Las Vegas”, la cathédrale ternaire “Fotzepolit­ic” jusqu’au final au titre ahurissant “Frou Frou Foxes In Midsummer Fire”, mains jointes au ciel lorsque vient le matin dégueulass­e après une nuit de veille, les yeux grands ouverts. Quelle importance si on n’arrive toujours pas à comprendre les paroles de la Frazer, sa glossolali­e ; ce sont les impression­s qui comptent, les images que cela engendre. Et ce groupe en avait à revendre.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France