Rock & Folk

Nirvana

- ISABELLE CHELLEY

“NEVERMIND” DGC

En septembre 1991, lorsque Nirvana sort “Nevermind”, deuxième album succédant au très abrasif “Bleach”, le grunge n’est pas encore un phénomène et une bonne partie de la population mondiale serait bien incapable de placer Seattle sur une carte. D’ailleurs, le futur lauréat des listes de disques les plus influents du 20e siècle bénéficie d’une promotion minimale — le label escomptait un succès d’estime — et fait peu de vagues dans la presse musicale. Heureuseme­nt, les college radios ne l’entendent pas de cette oreille et diffusent en boucle le premier single, ce “Smells Like Teen Spirit” qui va propulser le trio dans la stratosphè­re et Kurt Cobain en enfer. Ouvrant l’album sur une note entêtante, la chanson, qualifiée par son auteur de plagiat des Pixies avec sa dynamique loud/ quiet/ loud, devient, avant fin 1991, un incontourn­able de MTV grâce à ses explosions de guitare et de batterie et la voix de chat écorché de Cobain hurlant des paroles sans queue ni tête (“A mulatto/ An albino/ A mosquito/

My libido”). Les ventes de “Nevermind” décollent en flèche et le groupe aurait pu rejoindre les rangs des one-hit wonders s’il n’y avait pas eu le reste. C’est-à-dire onze autres morceaux incroyable­s, combinant énergie primitive punk et sensibilit­é pop, rage adolescent­e et finesse, riffs costauds et voix à fleur de peau. Le tout imprégné d’humour grinçant (souvent incompris) et d’émotions à vif. Biberonné à la pop des Beatles ou des Pastels, à Kiss et Black Sabbath, Cobain a trouvé ici une nouvelle voie, contribué à initier une révolution sonore et à renvoyer le hair metal au vestiaire, comme les punks l’ont fait quinze ans auparavant avec les prog-rockers. Plus de vingt ans après, c’est un poncif de qualifier “Nevermind” de classique. Et pourtant. On a beau le connaître sous tous les angles, on ne se lasse pas du faussement naïf “In Bloom”, de la mélancolie de “Something In The Way”, du hardcore rugueux de “Breed”, de l’ironie noire de “Lithium” ou de “Come As You Are” et de “Polly” où Cobain, garçon sensible et féministe, glace le sang en se glissant dans la peau d’un violeur sadique, inspiré par un fait divers. “Nevermind” se vendra à plus de 25 millions d’exemplaire­s et fera de Kurt Cobain un porte-parole de la jeunesse paumée, auteur malgré lui d’un hymne génération­nel. Un martyr aussi. Depuis, on attend la prochaine révolution musicale.

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