Rock & Folk

U2

- MICHKA ASSAYAS

“ACHTUNG BABY” ISLAND

Que fait-on après avoir vendu plus de 10 millions de disques dans le monde et fait la couverture de Time Magazine ? Eh bien, étrangemen­t, on retourne à l’école. En 1987, installés sur le trône de groupe n° 1 au monde, Bono, The Edge, Adam et Larry se sont regardés, incrédules, et ils ont rigolé. Tout ça était ridicule : à part Bowie, Lou Reed, Iggy et leur mentor Brian Eno, ils ne connaissai­ent que dalle, ou presque, aux sources de la musique qui les avait faits rois. Il y eut d’abord un pèlerinage aux sources, des studios Sun à Memphis en passant par Johnny Cash et BB King. De cette initiation tâtonnante naquirent un documentai­re et un disque inégal : “Rattle And Hum”. Mais cet apprentiss­age eut un autre fruit, bien plus précieux : le désir intrépide de tout mettre par terre et de tout réinventer. Après tout, pourquoi un chevelu à guitare sèche portant un gilet à même la peau était-il censé être plus authentiqu­e qu’un groupe d’electro-pop ? C’était devenu un cliché débile, il fallait l’abattre. Alors, cap sur Berlin, avec Eno, là où celui-ci, une quinzaine d’années auparavant, avait greffé aux chansons d’Iggy Pop et David Bowie les climats glaçants, électroniq­ues et industriel­s, de Kraftwerk. Bono allait déformer sa voix au Vocoder, The Edge parfois lâcher la guitare pour les claviers et, pendant l’enregistre­ment, le groupe être plusieurs fois au bord d’exploser en vol. Le résultat ? Sans doute le seul album de U2 qu’on puisse écouter de bout en bout en y découvrant, à chaque fois, quelque chose de neuf. Tout y est : le groove néo-psychédéli­que des Stone Roses et des Happy Mondays, le staccato hypnotique d’Eno avec les Talking Heads, l’art enfin maîtrisé d’écrire des chansons et aussi les racines du groupe, le glam-rock de Roxy Music et les intonation­s lascives de Lou Reed. Dans “Even Better Than The Real Thing”, ou le tube “Mysterious Ways”, Bono n’est plus innocent : il est veule, lascif, érotique. Il y a quelque chose de pourri dans son coeur et c’est magnifique. Jack White ne s’y est pas trompé en reprenant — magnifique­ment — ce cantique déchiré qu’est “Love Is Blindness”, où The Edge livre un de ses plus beaux soli, cassant même une corde à la fin. En somme, un miracle.

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