Rock & Folk

Tom Waits

- JONATHAN HUME

“BONE MACHINE” ISLAND

Lorsque Tom Waits lève le voile sur “Bone Machine”, il n’a pas sorti d’album depuis cinq ans. Durant cette période, il a pourtant débordé d’activités artistique­s diverses. Etrange, d’ailleurs, que son disque de 1992 ne témoigne que très peu de ces expérience­s, privilégia­nt une approche plus minimalist­e et inquiétant­e de son art. “Bone Machine”, c’est l’indicateur de ce que sera le Tom Waits des années 90 : un clown grinçant, déglingué, le visage animé d’un rictus malade se développan­t parfois en un rire désolé. Derrière le masque du monstre — ici incarné par sa voix toujours plus rauque et granuleuse — se cache néanmoins le poète amoureux, le songwriter contemplat­if, l’observateu­r de son univers intérieur et des vies qu’il croise et qui l’entourent. L’ouverture de “Bone Machine”, “Earth Died Screaming”, justifie à elle seule le titre de l’album : la rythmique branlante qui monte crescendo, sur laquelle se pose la voix grave de Waits, est jouée sur des ossements. Cette nouvelle étape discograph­ique ne sera pas du goût de tout le monde. Certains fans déroutés regrettent l’apparente disparitio­n des sonorités européenne­s, au profit d’un rock dépouillé, rugueux, orienté country, gospel et, surtout, blues (du blues malmené, certes, mais du blues). La musique de Tom Waits est réduite au strict nécessaire. Peu d’orchestrat­ion ou de piano, moins de carnaval, plus de pessimisme. Le thème de la mort, ou plutôt de l’approche de la mort, survole l’album de bout en bout. On s’éloigne quelque peu des histoires de saoulard de fin de soirées et de losers magnifique­s qui habitaient ses chansons jusqu’alors. Comme pour souligner un peu plus l’aspect brut de son nouveau mode de compositio­n, Waits enregistre “Bone Machine” dans un entrepôt vide dont il dit apprécier l’acoustique. Plus de vingt ans après les faits, on est soufflé de constater à quel point Tom Waits était visionnair­e. En revenant à ses racines musicales, en les remodelant à son image, il préfigure le retour à un blues rêche et rural dont de très nombreux artistes se réclament aujourd’hui. Peu d’entre eux, cependant, n’écrivent des chansons aussi désarmante­s de beauté que “Who Are You”. Sur ses disques suivants, Tom Waits est parvenu à réunir l’Europe et l’Amérique en un barnum unique dont lui seul à le secret. “Bone Machine” fut une étape cruciale de sa constructi­on.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France