Eric Clapton
“UNPLUGGED” WARNER
Ce sont les chiffres d’une époque révolue. Il s’écoula plus de dix millions de cet “Unplugged” aux Etats-Unis, un demi-million en France, le reste du monde étant à l’avenant. Dans les mois, les années qui suivirent, tous se précipitèrent sur les plateaux de l’émission de MTV, cadors du heavy metal ou du grunge compris (Nirvana et Alice In Chains y brillèrent). Il devint tendance de débrancher sa guitare, d’ajouter un set acoustique à ses concerts et même Robert Plant et Jimmy Page se rabibochèrent via cette formule (amendée à leur guise) en 1994. Comme de coutume, un tel succès et ses conséquences paraissent relever, vingt ans après les faits, d’une certaine irrationalité. Les deux singles de l’album jouèrent un rôle certain, qui passèrent en boucle sur les télévisions, les radios. “Tears In Heaven”, que Clapton composa pour son fils défenestré l’année précédente et qu’il n’est pas interdit de trouver d’un sentimentalisme pesant ; “Layla”, dans un lifting qui substituait à l’urgence de l’original une rondeur bonhomme, confortable. Au fil du concert, Clapton ne joue pas la carte du greatest hits réarrangé, ce qui est son mérite. Accompagné de musiciens première catégorie (Nathan East à la contrebasse, Andy Fairweather-Low à la seconde guitare...), il puise dans son amour du deep blues pour ressortir des titres peu connus, dont il gomme l’âpreté pour les lustrer d’un éclat très propre, mais indéniable. Les cinq premiers morceaux sont correctement exécutés, mais le concert bascule aussitôt après, avec “Nobody Knows You When You’re Down And Out”. Bessie Smith a fait pleurer avec cela voilà quelques décennies, Clapton en a livré une version désespérée en 1970, cisaillée par la slide de Duane Allman. C’est un autre ex-Allman Brothers, le pianiste Chuck Leavell, qui apporte ici une contribution décisive à cette mélopée poignante, chantée en toute connaissance de cause par le guitar hero britannique. Le public éructe, sent que quelque chose se passe. Les musiciens entrent dès lors en symbiose : “Walkin’ Blues” et “Malted Milk” du héros Robert Johnson, “Alberta”, “San Francisco Bay Blues”, “Rollin’ and Tumblin’ ”, ainsi que deux slow blues originaux se succèdent avec une ferveur communicative. Clapton, après une décennie de vains albums produits par Phil Collins, trouvait là un second souffle inespéré. La suite de sa carrière, désormais, se ferait à sa main.