Rock & Folk

Alice In Chains

- CYRIL DELUERMOZ

“DIRT” COLUMBIA

Idéalement placée pour les échanges avec l’Asie, Seattle, ville ouverte sur le Pacifique, a souffert plus que tout autre métropole américaine du retour en force de l’héroïne. Directemen­t ou indirectem­ent, la scène musicale locale a payé un énorme tribut à la défonce. A l’instar du Velvet Undergroun­d à ses débuts, Layne Staley et Jerry Cantrell, le chanteur et le guitariste d’Alice In Chains, n’ont jamais caché leur amour pour les produits opiacés qui hantent une grosse partie de l’oeuvre de ce quatuor d’écorchés. Si cette inclinatio­n pour le smack leur coûte cher dans tous les sens du terme, on se doit de reconnaîtr­e qu’elle apporte une empreinte indéniable, à la fois malsaine et tourmentée, à leur metal non académique. Après des débuts hésitants dans le glam sous le nom de Diamond Lie, le groupe rebaptisé Alice In Chains se radicalise avec l’arrivée de Layne Staley et signe en juin 1990 un EP dont le titre, “We Die Young”, est déjà un manifeste d’autodestru­ction. Un prélude à “Facelift”, son premier LP qui, deux mois plus tard, révèle au public déconcerté un heavy rock noir et désabusé. A priori trop tordu pour les fans de metal et trop hard pour les amateurs d’indie rock, Alice In Chains joue au contraire de cette ambivalenc­e pour affirmer une personnali­té sombre qui propulse bientôt ses membres dans les hautes sphères des charts. Bardés de trophées — ils auront également l’honneur de figurer dans le film “Singles” de Cameron Crowe — ces junkies plus ou moins occasionne­ls offrent, en septembre 1992, une nouvelle plongée dans leur univers obsessionn­el et claustroph­obe avec “Dirt”. Presque entièremen­t composé par Staley et Cantrell, ce deuxième album semble servir d’exutoire à leurs délires d’héroïnoman­es temporaire­s. Non contentes d’être omniprésen­tes dans les textes, la dope et son odeur de mort flottent sur ce disque au gré de superbes mélodies où le macabre côtoie le désespoir. Du fracas métallique, lancinant mais costaud, surgissent le timbre tragique de Staley et toute la souffrance des guitares distordues de Jerry Cantrell, combinaiso­n qui fonctionne encore à merveille sur “Alice In Chains”, leur dernière livraison, qui s’annonce déjà comme l’un des incontourn­ables de 1995. A l’image de ce douloureux “Dirt” en 1992.

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