Rock & Folk

Suede

- JEROME SOLIGNY

“SUEDE” NUDE

On ne s’en doute pas forcément quand on assiste à un concert du groupe aujourd’hui ou lorsqu’on croise le regard biseauté qui illumine le visage de Brett Anderson, mais Suede a connu plusieurs vies. Au point, d’ailleurs, que sa première a précédé la parution de cet album par lequel la formation anglaise (dans laquelle se distinguai­t la future Elastica Justine Frischmann à la fin des années 80) a débuté sa discograph­ie. En effet la réputation de Suede en live était telle (Anderson y jouait l’androgynie et le ténébreux Bernard Butler, son double, d’atypiques parties de guitares filandreus­es) qu’avant même que le groupe eût sérieuseme­nt enregistré la moindre note de musique — on ne compte pas une démo mise en boîte pour une émission de radio — il faisait déjà la une de la presse musicale anglaise. Plus fort encore, David Bowie s’était entiché de Suede et, comme de nombreux journalist­es, il voyait en eux de nouveaux Smiths. C’est donc sous une pluie de louanges que les deux co-leaders et leur rythmique (efficaces Mat Osman et Simon Gilbert à la basse/ batterie) ont investi les Master Rock Studios de Kilburn — Etienne Daho venait d’y immortalis­er ses “vies martiennes” — pour y enregistre­r onze titres. Tous n’allaient pas faire l’effet de bombes, mais les quatre parus en single (trois avant la sortie de l’album, “The Drowners”, “Metal Mickey” et “Animal Nitrate”, suivis d’un autre durant sa première année d’exploitati­on) contribuèr­ent à booster des ventes phénoménal­es et à allumer un prodigieux incendie : la britpop. Avec ce premier long format aux refrains accrocheur­s montés du caniveau, voix surfant sur la crête d’émotions vives (Frischmann venait de quitter Anderson pour Damon Albarn de Blur, l’autre combo déclencheu­r du courant musical) et guitare aux riffs tour à tour clairs et acides, Suede gravait les tables d’une loi précaire — le groupe se réinventa au départ de Butler dès la fin de l’enregistre­ment de l’album suivant — et faisait jaillir un tourbillon sonore et sensoriel du calibre des deux premiers Roxy Music. Souvent remise en cause par Anderson depuis 1993, la production d’Ed Buller, qui mettait l’accent sur la reverb et s’appuyait souvent sur des claviers (dont personne ne jouait sur scène) agit comme un révélateur : “Suede” est un chefd’oeuvre tourmenté, ardent et juvénile, le l majuscule du mot Légende.

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