Rock & Folk

The Afghan Whigs

- VINCENT HANON

“GENTLEMAN” ELEKTRA

Question élégance, “Gentleman” se place comme l’album le plus intense de la discograph­ie tourmentée des Afghan Whigs. “Tout le monde parle du rock, le problème est qu’on oublie le roll ”, remarquait un jour Keith Richards. Impossible d’adresser tel reproche à cette formation atypique apparue en pleine explosion Seattle, obsédée par le groove qui donne envie de faire l’amour, mais aussi par Stax, Motown et tous les joyaux obscurs R&B et funk. Depuis 1988 — et un break discograph­ique de seize ans ! — dans un environnem­ent moite et hanté, le groupe blanc le plus noir demeure pourtant l’un des plus sous-estimés du paysage. Originaire­s de Cincinnati, dans l’Ohio, les Afghan Whigs sortent un premier album médiocre et deux autres bien meilleurs chez Sub Pop au début des années 90, puis signent sur une major. Eclipsé par le succès de Nirvana, le groupe qui ne correspond pas aux canons radiophoni­ques grunge en vigueur décide d’enregistre­r dans l’urgence après avoir rodé ses nouveaux morceaux sur la route. Jody Stephens, le batteur de Big Star, lui file un coup de main en trouvant un studio au chanteur Greg Dulli qui produit alors ce disque (aujourd’hui réédité en version luxe avec les démos de chaque chanson, des reprises et un EP d’époque). Le guitariste Rick McCollum cosigne deux titres brillants, “When We Two Parted” au feeling country et “Be Sweet” où Dulli se révèle parolier acerbe qui met le doigt là où ça fait du bien (“Mesdames, laissez-moi vous dire que j’ai une bite à la place du cerveau”). D’une voix pleine d’assurance, voire parfois de suffisance, à la fois apaisante et en colère, le compositeu­r chante l’insatisfac­tion sexuelle, les lendemains difficiles, l’incompréhe­nsion, le chagrin et les drames qui en découlent. “Gentleman” devient le compagnon de rupture idéal, celui qu’on écoute seul à la maison avec une bouteille de whisky. Les autres grands moments se nomment “I Keep Coming Back”, une émouvante reprise du classique de Tyrone Davis, et “Debonair”, tentative réussie de projeter The Jackson 5 dans l’univers “Twin Peaks”. Imaginé avec un début, un milieu et une fin, ce quatrième volet des aventures des Afghan Whigs symbolise tout ce que Pearl Jam, trop balourd, n’atteindra jamais. Tous genres confondus, transcendé­s avec distinctio­n, “Gentleman” reste bien l’un des derniers grands disques du vingtième siècle.

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