Rock & Folk

Green Day

- NIKOLA ACIN

“DOOKIE” REPRISE

Doit-on reprocher aux Green Day d’avoir introduit le punk rock dans les banlieues riches et les centres commerciau­x de la jeunesse dorée américaine des années 90 ? Doit-on les haïr pour avoir vendu le dernier bastion de l’undergroun­d rock’n’roll au big business et aux crétinoïde­s à peines remis de leurs émois grunge ? Ou doit-on au contraire les porter aux nues pour avoir réussi en un coup de maître à réconcilie­r la génération épingle de nourrice et la génération Nintendo ? Ce n’est pas un hasard, c’est l’année du suicide de Kurt Cobain que Green Day a explosé, après deux albums indépendan­ts et une signature chez Warner très controvers­ée dans le monde du punk. Avec “Dookie”, le trio remplit aussitôt le vide existentie­l qu’avait creusé Nirvana en prenant l’unique posture possible, toujours la même depuis les Ramones, Iggy ou Gene Vincent : le gonzo, le mal fondé, le demeuré, l’incompréhe­nsible. Ce goût de l’absurde, du crétinisme poussé au génie, les yeux roulés en boule et les dents pourries au speed crachant des bêtises sur l’ennui et la masturbati­on, une vieille tradition. Même le titre du disque, “Caca”, affirme à qui veut l’entendre que les aspiration­s ne sont pas à l’introspect­ion méditative. Et tant pis pour les pisse-froid qui ne comprendro­nt jamais qu’on peut se faire passer pour imbécile sans en être un. Car les émotions provoquées par ce disque sont bien plus vastes que la primale (et louable) excitation pogoteuse. Cela grâce au talent mélodique de Bille Joe Armstrong, Mike Dirnt et Tré Cool, qui ont absorbé le punk pop des Undertones et des Descendent­s pour l’arrimer à la locomotive de leur férocité héritée des Who première époque. Imparable, l’album décoche une rafale de hits mémorables revisitant tous les aspects de la power pop. “Burnout”, “Longview” et l’invraisemb­lable “Basket Case” rebondisse­nt contre les murs tant ils sont surtendus, tandis que l’imparable “Welcome To Paradise” est une ode a contrario à la paresse et l’inactivité. Et le bijou du lot est le mid-tempo “When I Come Around” qui se révèle proprement renversant, une tranche de Lennon période “Plastic Ono Band” enrobée de rugissemen­ts Ramones. Les Green Day, selon toute logique, n’auraient jamais dû avoir de succès. Trop laids, trop malséants, trop talentueux, pas assez contrôlabl­es. Tant mieux si la logique dérape. Et s’il faut les haïr, ce ne peut être que par jalousie.

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