Rock & Folk

Morrissey

- BENOIT SABATIER

“VAUXHALL AND I” PARLOPHONE

Si son humour décape dru, Morrissey n’est pas non plus réputé comme comique troupier. Ses chansons sont moins jouées aux enterremen­ts de vie de jeune fille qu’aux enterremen­ts tout court. Avec le funèbre “Vauxhall And I”, le cliché rejoint la réalité : la Faucheuse rôde autour de l’ex-Smiths. En janvier 1993, son manager, Nigel Thomas, meurt d’une crise cardiaque. Le mois suivant, Tim Broad, réalisateu­r de la plupart de ses clips, trépasse (sida). Et en avril, son ami Mick Ronson, avec qui Morrissey vient d’enregistre­r le magistral “Your Arsenal”, rejoint Terry Burns (cancer) : “Mick était très content qu’on se remette à écrire des chansons ensemble, pressé qu’on retourne en studio. Très positif au sujet de sa santé. Et puis trois jours plus tard, sa femme m’appelle pour m’annoncer sa mort.” Reclus dans sa maison de Camden, le Moz broie du noir. Il l’annonce officielle­ment : son prochain album sera son dernier. L’équipe pour ce testament : Boz Boorer et Alan Whyte aux compositio­ns, Steve Lillywhite à la production. Un trio qui fait un peu peine. D’ailleurs, à première écoute, de loin, dans le brouillard, “Vauxhall And I” sonne juste comme un grand disque sans prétention. Mais non. Le Moz (et ses trois clampins) nous ont pondu le successeur de “Something Else By The Kinks”, “Hunky Dory”, “The Stone Roses”, ces albums british qui, chaque décennie, rajoutent une pierre à l’édifice classic-pop. Pour sa sortie, une séance de dédicace est organisée le 15 mars 1994. La direction du HMV attend, comme pour Tina Turner, au max 500 personnes. 3000 fans internatio­naux, qui ont pioncé la nuit devant le magasin, le prennent d’assaut. “Vauxhall And I”, en plein avènement britpop, squatte la première place des charts UK – tout en allant également parader dans le Top 20 US. D’où sort le titre ? Vauxhall est un quartier de Londres connu pour ses clubs gay. Même idée pour le chef-d’oeuvre “Speedway”, surnom d’une route de Santa Monica peuplée de bars pédés — James Dean et Montgomery Clift venaient y faire du cruising. Chanson tétanisant­e. Comme l’onirique “Lifeguard Sleeping, Girl Drowning”, où un type lance : “Elle a mérité tout ce

qui lui arrive”, en regardant sa copine se noyer. “Vauxhall And I” ne sera pas le dernier album du Moz, mais son disque le plus tragique troupier.

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