Soundgarden
“SUPERUNKNOWN” A&M
Bien sûr, il ne saurait être question de compétition. Mais tout de même. D’ailleurs, s’il convenait de se vautrer nécessairement dans la comparaisonite aiguë, les garçons auraient toujours beau jeu de rappeler qu’ils furent parmi les premiers à rejoindre les rangs d’une major. Compétition ou pas, course de lévriers seattlés ou pas, derrière Nirvana et Pearl Jam (voire Alice In Chains), Soundgarden, toujours à la traîne, semblait condamné à jouer les seconds rôles. La faute à un charisme qui ne voulait pas se dévoiler, à une noirceur sciemment érigée en ligne Maginot vis-à-vis de cet extérieur dont il convenait forcément de se protéger. Evoluer en marge, loin du tourbillon, ne jamais caresser dans le sens du poil, prendre son temps pour façonner l’édifice, tel était l’obsessionnel Graal à atteindre pour ce groupe refusant obstinément de fournir les clés de son jardin secret. Et si quelques verrous devaient malgré tout sauter, si accommodation à ses tréfonds voulus hermétiques il devait y avoir, ce ne serait jamais de son fait. Cette stratégie allait se montrer payante. Parce qu’entre autres mérites, Soundgarden avait celui de l’ancienneté, celui de la ligne directrice à laquelle il s’était harnaché contre vents et marées, mode grunge ou pas. Et ça, à l’échelle des valeurs de la respectabilité, c’est de l’inestimable en béton armé. Un genre d’assurance tous risques en face de laquelle toutes les moues dubitatives, tous les insidieux coups de canif tailladés sur le mode du rejeton le plus metal de la famille grunge/ Led Zeppelin de l’armée des ombres, ne pouvaient à terme que glisser et se diluer, impuissants, vains. Avec “Superunknown”, Soundgarden renvoyait l’image d’un Seattle devenu plus adulte qu’adulé. Parce que, audelà du décor désormais entériné des angoisses internes, du mal de vivre collant à l’épiderme, tout y respirait le sens de l’acquis et de la persévérance qui faisaient défaut à un “Badmotorfinger” encore trop connoté examen des forces en présence. Parce que l’on s’attardait soudain à parler plus volontiers d’osmose que d’opacité, à voir dans l’équipée des Chris Cornell et Kim Thayil des bâtisseurs plutôt que des... représentants en climatisation. Parce que devant nos yeux et nos oreilles éclatait flagrante la preuve qu’il y avait bien une vie après la grunge fever.