Rock & Folk

Johnny Cash

- ISABELLE CHELLEY

“AMERICAN RECORDINGS” AMERICAN

Dire que Johnny Cash a eu plus de vie qu’un chat est un cliché. Et pourtant, il a vraiment collection­né les résurrecti­ons fracassant­es, dès le début des années 1960 lorsque sa consommati­on d’amphéts a suivi une courbe inverse à celle de ses succès dans les charts. C’est d’ailleurs cette image de colosse rebelle, vulnérable aux addictions et torturé qui lui a valu la sympathie d’un public de rockers se défendant d’aimer la country, sauf la sienne — et puis il a touché à un peu tout, du gospel au rockabilly, y laissant sa marque au passage. Cependant, au début des nineties, l’Homme en Noir n’a plus rien du candidat potentiel au come-back de l’année. La décennie précédente avait bien commencé par son intronisat­ion au Country Music Hall of Fame, avant de virer au marasme entre ventes de disques en dégringola­de, abandon des radios country le jugeant usé, et différends avec son label. Seules ses affaires avec les Highwaymen, supergroup­e d’outlaw country, marchaient encore. Entre en scène Rick Rubin, géant barbu, producteur et boss du label American Recordings, spécialisé dans le hip hop et le metal. Rubin veut travailler avec un artiste chevronné — et traversant une sale passe — pour changer des petits jeunes en devenir. Le premier nom lui venant à l’esprit est celui de Johnny Cash. Sur le papier, la collaborat­ion est improbable, mais le résultat, enregistré avec une guitare dans le salon de Cash, ou au Viper Room pour deux titres, est brillant et intemporel. Adepte du less is more, Rubin offre à la voix de Cash (un trésor qui n’a besoin de rien pour donner le frisson ou du relief à la plus simple des mélodies) un écrin dépouillé. Exactement ce qu’il fallait au chanteur pour séduire une nouvelle génération de fans. L’album s’ouvre sur “Delia’s Gone”, murder ballad à la morale frappée au coin de l’humour noir (“Si ta femme est démoniaque, tu peux la laisser filer/ Ou tu peux l’abattre”). Après ce morceau de bravoure, Cash s’approprie chaque chanson, reprise ou originale, réduisant ses effets au strict minimum — un passage parlé par-ci, une plongée dans le très grave par-là — soulignant le tout d’un jeu de guitare limpide. Il y aura cinq autres volumes d’ “American Recordings”, tous indispensa­bles. Et des dizaines d’artistes qui, dans son sillage, s’essaieront à l’album de reprises, sans sa maestria, à de rares exceptions.

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