Portishead
“DUMMY” GO! BEAT
Portishead : bled balnéaire du sudouest de l’Angleterre croupissant dans un mortel ennui à une dizaine de kilomètres de Bristolsur-Avon jusqu’à ce que les Bonnie & Clyde du cru réussissent le hold-up crossover de l’année 1994 et fassent de la cité portuaire voisine la scène la plus recherchée à l’ouest de la hype. Dans le rôle de Bonnie Parker : Beth Gibbons, la trentaine, blonde évanescente sur une silhouette de chatte écorchée. Partageant des origines rurales avec PJ Harvey, Beth, fille cadette de parents divorcés, aide longtemps maman aux travaux des champs et empaquette un temps des calculatrices importées des Etats-Unis. Fan de Janis Joplin, elle pousse la chansonnette depuis une dizaine d’années dans beaucoup de pubs et quelques choeurs (A Guy Called Gerald) quand, à l’ANPE locale, elle rencontre son Clyde, Geoff Barrow, de six ans son cadet. Egalement enfant du divorce, ce fils de camionneur tâte longtemps des baguettes, un peu des arts graphiques et beaucoup des platines. Fan de rap, l’ours bidouilleur grimpe les échelons du studio Coach House puisque, de simple manoeuvre durant les travaux de construction, il passe grouillot puis technicien à l’époque de certaines “Blue Lines”. Avec la discrète complicité du guitariste/ bassiste jazz Adrian Utley, le couple prépare alors son casse à l’arme blanche et rafle le butin avec le diamant noir “Dummy”. Dévoilée entre le très attendu deuxième album de Massive Attack (“Protection”) et la première virée longue durée de l’attackeur dissident Tricky (ex-Kid), la beauté spectrale de “Dummy” éclipse tous les joyaux locaux et va jusqu’à briller via “Glory Box” sur la tranche matinale des ménagères Maryse-Amadou d’Europe 1. Mi-Julie London, mi-Julee Cruise, Beth Gibbons explore obsessionnellement les méandres d’une carte du tendre qui se terminent invariablement en cul-de-sac, d’où les plaintes déchirées mais jamais pleurnichardes qui hantent “Sour Times” (“nobody loves me”) ou “Glory Box” (“give me a reason to love you”). A l’ombre des manettes, l’artisan Barrow confectionne pour cette détresse abyssale un écrin sur mesure fait de rythmes engourdis, de nappes synthétiques neurasthéniques et de trafics rappés ou samplés (Isaac Hayes, Weather Report).