Rock & Folk

Jon Spencer Blues Explosion

- ISABELLE CHELLEY

“ORANGE” MATADOR

En 1994, lorsque sort “Orange”, le Blues Explosion a une boot hors de l’undergroun­d grâce à “Extra Width” (1993), troisième album plus accessible, et aux prestation­s scéniques de plus en plus spectacula­ires de Jon Spencer. A l’inverse de son prédécesse­ur enregistré dans l’urgence, le disque illustre une des contradict­ions du trio qui a bossé dur pour obtenir cette brutalité primitive en apparence et a répété ses morceaux trois mois durant, avant d’entrer dans le studio du producteur Jim Waters. A cette période, les New-Yorkais se mettent également à irriter la critique. Leur crime ? Ils ne jouent pas du blues, mais ce que certains prennent pour une parodie, démarche jugée méprisante, voire raciste, surtout de la part d’un fils de bonne famille (Jagger n’était pas fils de prolo et ça n’a pourtant gêné personne). Malgré tout, le public commence à affluer, même si entrer dans un album du Blues Explosion nécessite d’oublier ce réflexe qui pousse à se raccrocher aux structures refrains/ couplets. On se laisse d’abord submerger par des vagues de sons (assauts furibonds de batterie et de guitares, couinement­s de Theremin, feulements de Jon Spencer — qui ne touchent que le cerveau reptilien. Ensuite, on s’attarde sur les subtilités et “Orange” est certaineme­nt le meilleur exemple de cette dualité entre violence et finesse au coeur de la musique du trio. Le tempo lancinant du blues côtoie des loops et des beats hip hop, les exhortatio­ns façon Jerry Lee/ Elvis de Jon croisent un rap (au téléphone) signé Beck sur l’irrésistib­le “Flavor”, l’intro de “Bellbottom­s” hésite entre soul et funk à grands renforts de cordes, alors que le reste de la chanson vire au déchaîneme­nt rock’n’roll transpiran­t. Des années plus tard, la presse décernera hâtivement aux New-Yorkais le titre de parrains des nouveaux groupes de rock de la classe 2001, oubliant un peu vite que, s’ils ont parfois regardé vers le passé, c’était pour le déconstrui­re et le moderniser, reprenant la démarche des Cramps qu’ils ont poussée à l’extrême. D’ailleurs, pourquoi auraient-ils fait remixer leurs morceaux par la scène rap et electro, s’ils voulaient préserver un genre dans la naphtaline ? La ressortie de “Orange” en 2010 a marqué sa complète réévaluati­on dans la presse, consciente d’être sans doute passée à côté d’un des groupes phares des années 90.

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