Rock & Folk

Marvin Gaye

- PHILIPPE MANOEUVRE

“HERE, MY DEAR” TAMLA

Un avocat de Marvin Gaye en 1977 : “Il y a des divorces qui se passent bien, d’autres qui se passent mal. Le vôtre est sans

doute le pire de tous les temps.” Depuis, ce disque double à l’époque de sa sortie en vinyle (1978) retient notre attention écarquillé­e. Ce qui se comprend. Le divorce de Marvin avec la soeur du PDG fondateur était également un peu son départ de la mythique compagnie. En fait c’est dès 1975 que Anna Ruby Gordy avait découvert que son crooner de mari avait une affaire suivie avec une certaine Jan, quelque peu enceinte des oeuvres du chanteur. Folle de rage, Anna demande le divorce et dans la foulée elle exige tout. La maison de Detroit, la villa de Los Angeles, les quatorze voitures (dont une Rolls, une Mercedes 1956, une décapotabl­e Eldorado 1975, les vans, la Jeep...), sans oublier les visons, le home studio et le jacuzzi. Coincé, traqué, on dit Marvin fini. Personne chez Motown ne répond plus à ses appels téléphoniq­ues... Alors les avocats ont une idée géniale : et si leur client enregistra­it un disque pour payer sa dette à Anna ? Le contrat est établi, les 305 000 dollars d’avance versés à l’épouse outragée, mais quel choc cela a dû être pour la jeune divorcée d’entendre le résultat final ! Jamais personne n’avait osé cela... Dissection pure et simple, histoire à l’eau de rose qui vire vinaigre, sentiments écorchés, nerfs à vif, bagarres (Marvin avait jeté Anna dans l’escalier de la villa de Detroit). Bref, mise à nu de tout ce qui hantait alors le crooner noir, avec ce refrain leitmotiv : “Quand as-tu cessé de m’aimer ?/ Quand ai-je cessé de t’aimer ?” Vibrante, la question reste fichée au coeur de ce maelström de paranoïa et de folie amoureuse que contiennen­t les 73 minutes de “Here, My Dear”. Jamais la soul ne s’est approchée aussi près d’Ingmar Bergman... Au départ, le baladin avait pensé sortir un album guimauve rapidement exécuté. Finalement, le projet devint son obsession : “Toutes ces séances chez le juge, ces assertions, ces mensonges éhontés... Je me suis vite rendu compte que j’allais exploser si je n’évacuais pas tout cela de mon système... Alors j’ai dit à mon vieil ami ingénieur, Art Stewart : ‘Ouvre le

micro’ et j’ai tout balancé, tout ce junk.” A la sortie du disque, Anna songea faire un autre procès à Marvin. Merci à qui l’en dissuada.

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