Rock & Folk

Big Star

- BENOIT SABATIER

“3RD” PVC

C’est l’histoire d’un album qui n’existe pas, créé par un groupe qui n’existait plus. Chris Bell, le fondateur de Big Star, s’est barré après le premier album (“#1 Record”, un bide), le bassiste Andy Hummel l’imitant dès le deuxième (“Radio City”, bide aussi). Les survivants, Alex Chilton et Jody Stephens, restent liés : ils sortent avec des soeurs, Lesa et Holiday Aldridge. Chilton a plusieurs chansons sous le coude. Il décide en septembre 1974 de les enregistre­r avec son ami batteur. Nom de code des

séances ? Sister Lovers. Jim Dickinson, qui a travaillé pour Dion, Ry Cooder, The Flamin’ Groovies et les Stones, est recruté

à la production. Il a la réputation d’être complèteme­nt siphonné — il aurait servi de cobaye au gouverneme­nt américain pour tester du LSD, devenant “un mutant

chimiqueme­nt modifié”. Chilton est lui-même en 1974 en mode barbituriq­ues — Demerol, Valium, Secanol, Mandrax, et alcool par barriques entières, ce qui le rend incontrôla­ble. Entre deux arrestatio­ns, bastons avec les flics ou Lesa, automutila­tions et overdoses dans le studio, l’enregistre­ment vire au chaos total. Finie la power pop beatlesien­ne, place à du Velvet Undergroun­d baroque, mortifère. Les compositio­ns de Chilton (“Take Care”, “Stroke It Noel”, “Blue Moon”), ainsi que le choix des reprises (“Nature Boy”, avec William Eggleston au piano — en bonus track sur la réédition 1992), chantées de sa voix déchirante, relèvent du miracle. S’agit-il d’un disque solo de Chilton ? Pas tout à fait. D’abord parce que Jody Stephens compose un morceau, et pas une bouse (“For You”). Ensuite parce que le batteur réclame des arrangemen­ts de cordes : impression­né, Chilton en colle partout. Enfin parce que Dickinson effectue un boulot incroyable — il ajoute du clavicorde ou du basson, transcende “Kangaroo” avec un Mellotron et du feedback. L’enregistre­ment s’étale de septembre 1974 à janvier 1975. Il faut ensuite choisir le tracklisti­ng, démarcher une maison de disques. Dickinson prend les choses en main. Chilton se sent dépossédé, il se détourne de l’affaire. D’autant que personne ne veut d’un album de drogué nihiliste, avec des chansons aussi plombantes que “Holocaust”. Il faudra attendre 1978 pour que sorte le disque intitulé “3rd”, signé Big Star. Il sera réédité et complété sous l’appellatio­n “Third/ Sister Lovers”. Chilton l’a renié. Un album si beau peut-il vraiment exister ?

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