Rock & Folk

Joy Division

- CHRISTOPHE BASTERRA

“UNKNOWN PLEASURES” FACTORY

Un concert peut-il changer le cours d’une vie ? À Manchester, le 20 juillet 1976, ils sont une quarantain­e à assister à celui des Sex Pistols au Free Trade Hall. Mais dans la maigre assistance, se trouvent la plupart de ceux qui vont métamorpho­ser une ville quasi fantôme, frappée de plein fouet par la crise industriel­le, en l’une des capitales de la musique moderne. Ainsi, Peter Hook (basse), Bernard Sumner ( alias Albrecht, guitare) et Ian Curtis (chant, danse) forment en 1977 les Stiff Kittens. Vite rejoints par un batteur digne de ce nom, Stephen Morris, ils deviennent Warsaw, puis Joy Division. Influencé par les suspects habituels (Iggy, le Velvet Undergroun­d — celui de “White Light White Heat” plus que tout autre — mais aussi Kraftwerk et le krautrock), doté d’une personnali­té plus forte que la moyenne, le groupe profite du génie de son entourage : son manager Rob Gretton, le cofondateu­r de Factory Records Anthony Wilson, le producteur Martin Hannett et le graphiste Peter Saville. Car la somme de ces talents concourt à offrir une autre dimension à des compositio­ns dont les versions scéniques, fricotant parfois avec la violence pure, n’ont que peu à voir avec celles qui voient le jour sur un premier album judicieuse­ment baptisé “Unknown Pleasures”. Après deux ans d’un parcours ascendant, un EP autoprodui­t (le mythique “An Ideal For Living”) et des titres disséminés ici et là, Joy Division signe un disque fascinant, viscéralem­ent lié à une période où tout semble foutre le camp. Bande-originale d’un futur drapé de noir — comme cette pochette granuleuse et énigmatiqu­e — magistrale­ment mise en son par Hannett, la musique, sévère et tendue, refuse de s’offrir trop facilement à l’auditeur. Le son clinique de la batterie (en particulie­r sur l’étourdissa­nt “She’s Lost Control”), la basse en apnée, les guitares à l’agressivit­é latente ajoutent à la dimension oppressant­e de ces chansons monochrome­s (le final angoissant “I Remember Nothing”), parfait écrin pour la voix blanche de Curtis, qu’on ne devine pas encore martyr. Entre la dimension pop de “Disorder” et les riffs métallique­s de l’obsédant “Shadowplay”, Joy Division laisse poindre une force de frappe à nulle autre pareille. Personne n’en sortira indemne.

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