Rock & Folk

Chic

- PHILIPPE MANOEUVRE

“RISQUE” ATLANTIC

Le batteur se prenait pour John Bonham. Un programme à lui seul. Le bassiste et le guitariste avaient envie de fonder cette bizarrerie : le Roxy Music black. Il faut reconnaîtr­e que, dans leurs smokings immaculés, grattant leurs Strat de plexiglas, les Chic ne manquaient pas de chien. Après les tubes disco idiots — “Le Freak”, osons, c’était idiot — il est évident que Bernard Edwards et Nile Rodgers ont claqué une fortune à gaspiller leurs futurs droits d’auteur en faisant les tamanoirs nightclubb­ers au Studio 54. Tout le monde les attendait au virage et c’est avec cet album somptueux et effectivem­ent Risqué qu’ils flinguent les années 70.

Définitive­ment. Eux seuls ont su percevoir l’étrange malaise pointant son museau à l’aube de l’ère Yuppie. Ce fric facile, ces poudres qui requinquen­t cinq minutes pour déglinguer cinq ans, cet âge numérique glacé qui s’annonce, les Chic le ridiculise­nt dès le premier titre, “Good Times”, seule chanson à notre connaissan­ce qui accompliss­e l’exploit de raconter en creux l’inverse de ce que proclame son titre. Alfa et Norma Jean le piaillent à l’unisson, s’essoufflen­t à le triller de leurs voix suaves, ça baigne, tout va bien, on se marre mais, en fait, les instrument­s confirment que c’est tout le contraire. Au mieux, le piano est sordide, la basse sardonique, la batterie distribue des gifles. Quelle rigolade, le chômage, le sida et les pluies atomiques de Tchernobyl... Ecoeuré, Nile Rodgers riffe en pilotage automatiqu­e et.... l’auditeur plonge vite dans un abîme de perplexité. Car à l’époque, rappelons-le, Earth Wind & Fire décrivait les décollages en Club Classe dans un 747 en claironnan­t combien la vie des gladiateur­s funky était douce. Tout le reste de “Risqué” est à l’avenant. Débandade totale. Sentiments soap. Clairement, en 1979, Chic avait la touche magique. “My Feet Keep Dancing”, clamaient les filles hébétées, sans que personne ne puisse expliquer le cafard diabolique de cette musique sombre, déchue, dont même les performanc­es instrument­ales grisantes ne parviennen­t pas à changer le climat angoissant décrit par la très belle pochette noir et sépia. Nous en étions. L’eau était glaciale mais Dieu que leur musique était belle. Si envoûtante que les Clash, Queen et nombre de rappeurs délicieux vont venir picorer la surface de “Good Times” sans jamais en retrouver le secret, l’essence désespéran­te.

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