Madness
“ONE STEP BEYOND” STIFF
Le malentendu Madness est d’autant plus agaçant qu’il a empêché certains tenants de la critique de constater l’évidence : Madness est le plus grand groupe pop depuis les Beatles et l’équivalent du quatuor de Liverpool pour les années 80, Paul McCartney l’a lui-même reconnu. Qui plus est, les sept de Camden n’ont pas attendu quatre albums pour réussir à enfin distiller une vision ou une esthétique mais ont défini dès ce premier album toute l’ampleur de leurs ambitions. Pour leur malheur, Suggs et compagnie se sont mis sous la double malédiction du ska et du comique burlesque, augures qui leur ont procuré autant de succès que de quolibets. Car leur association avec le mouvement 2 Tone des Specials et du Selecter, au-delà de l’imagerie mod/ rude boy, ne leur a pas rendu service. Certes, leur amour sincère des rythmes jamaïcains les a poussés à reprendre “One Step Beyond”, single imparable qui reste l’un des morceaux emblèmes des années 80 (bien qu’il soit sorti en 1979) et “Madness”, l’hymne à l’ivresse de Prince Buster, et à composer un hommage à ce dernier dans “The Prince”. Mais là où les Specials trouvaient dans le ska une puissante machine à danser mais également un véhicule de revendication sociale, Madness semblait (à moitié à tort) ne se reposer que sur le bondissant contretemps pour proposer une joviale gigue à ses nombreux fans qui n’ont pas tardé à imiter leurs pas de danse dignes de John Cleese en plein silly
walk. Or le groupe, sous l’impulsion du leader Mike Barson (claviers) et du déjanté saxophoniste Lee Kix Thompson, faisait dès ce premier album preuve d’une gravité qui tranchait franchement avec l’image qu’il donnait. Les instrumentaux (dont une reprise ska du “Lac Des Cygnes”, il fallait oser) montraient le groupe capable de dépasser les limites musicales qu’on lui croyait imposées, mais c’est dans les petites vignettes de la vie de tous les jours dans une Angleterre pérenniale qu’éclate le véritable talent des Nutty Boys. Le superbe “My Girl”, “Bed And Breakfast Man”, “In The Middle Of The Night” (le “Parklife” de Blur résumé en trois chansons), instantanés narratifs en opposition parfaite à l’air du temps post-punk, tiraient du music-hall et des orchestres de bal une atmosphère désuète et douce-amère.