Marianne Faithfull
“BROKEN ENGLISH” ISLAND Sur la photo de pochette, celle que l’on connut jadis pour avoir été la plus scandaleusement belle fiancée de Mick Jagger arbore une pose et une moue à la Keith Richards : huit ans après sa chute, “Broken English” annonce à grand fracas la renaissance artistique inespérée d’une muse que ça n’amusait plus de mourir à petit feu, sans avoir rien tenté d’autre que la concupiscence effrénée des hommes, rock stars ou voyous. Car plus encore que la volupté incarnée, Faithfull est une voix, ou plutôt des voix, celles d’une existence d’aventures contemporaines entre couvent et débauche, drogues très dures et bouffées délirantes de rédemption rêvée. En 1964, sa gorge déjà somptueuse d’authentique ingénue roucoule de sylphides refrains. Vampirisée par le mythe Stones, sa voix s’étiole, se fane, se tait et Marianne se consume. Coma, disgrâce, mue : c’est une quasi-poissarde qui pour trois sous se frotte à une country d’arrière-salle (“Faithless”). Mais un ange gardien de choc veillait de loin sur la petite-fille du baron de Sacher-Masoch : patron des disques Island, Chris Blackwell la repêche et la force à écrire... Premier maillon d’une chaîne qui mènera à ce miracle de l’expression retrouvée et transfigurée qu’est “Broken English” : de sa main ou non, à son intention ou pas, chacune des très intenses et très étranges chansons de ce disque lui colle à la peau de l’intérieur et toutes charrient, en même temps que des mégatonnes d’angoisse, de rage et de désirs, un formidable torrent d’énergie à l’insoupçonnée démesure du fabuleux désastre de sa vie. “The Ballad Of Lucy Jordan” comme le ravagé “Why D’Ya Do It”, le cruel “Guilt” comme l’inattendu “Working Class Hero” dépossédé de Lennon révèlent la tragédienne à poigne qui toujours sous-tendit cette femme. Le son, cryptique et aqueux, qui baigne tout l’album ne sert que de matrice à cette voix de nuit blanche en épreuve d’elle-même. Sarah Bernhardt multipliée par Patti Smith, rien que de l’extrêmement féminin.