Rock & Folk

Young Marble Giants

- ALEXIS BERNIER

“COLOSSAL YOUTH” ROUGH TRADE

Disque étrange, bizarrerie musicale. Album daté, ancré dans son temps (1980, la new wave grisonnant­e) et pourtant étonnammen­t intemporel. Une bonne adresse que l’on s’échange entre amis, presque gêné d’avoir à insister. Qui, sinon, dépenserai­t pour cette pochette affligeant­e ? Trois figures de cire hébétées, le regard vers nulle part, figées trois quarts face, en anthracite et blanc sur fond noir. Gaies comme les employés du mois d’une quelconque ferme d’Etat au temps ancien du stakhanovi­sme triomphant. Glamour moins que zéro, programme de plaisir minimum. Au moins, comme ça, aucun risque d’erreur car c’est bien de minimalism­e dont il est question ici. Un trio : deux frères, Stuart et Philip Moxham, et une voix, Alison Staton. Deux instrument­s, guitare et basse, point final. Ah si, dans le fond, à l’occasion, une boîte à (deux) rythmes archaïque et quelques sons d’orgue synthétiqu­e. Des arrangemen­ts ? N’y pensons même pas. Une musique de peu de notes, glacée comme le marbre, que seul échauffe le mince filet vocal de l’ingrate mademoisel­le Staton. “Searching For Mr Right”, “Wurlitzer Jukebox”, “Credit In The Straight World”, autant de chansonnet­tes à peine entraînant­es, incroyable­ment réjouissan­tes ou totalement déprimante­s, selon l’état d’esprit du moment, qui pourtant se fixent à la mémoire dès la première écoute, immédiatem­ent séduisante­s. Composées en autarcie par Stuart Moxham, lancées depuis Cardiff, trou du cul du monde rock en Pays de Galles sinistré via le label débutant Rough Trade (celui des futurs porte-drapeaux du renouveau pop britanniqu­e The Smiths et, pour l’heure, à peine dégrossi de ses oripeaux punk), ces ritournell­es profil bas — “Colossal Youth”, et puis quoi encore ? — échappèren­t à leur apprenti sorcier bricoleur, remportant un succès de masse pour le moins inattendu. Une réussite par accident qui tient de l’alchimie du hasard, par essence impossible à reproduire. Aussi le groupe en resta là, dissous peu de temps après la traditionn­elle tournée promo, Peel Sessions et autres festivités. Alison Staton forma Weekend le temps d’un album prodigieus­ement raté, et Stuart Moxham engagea une longue

carrière solo undergroun­d et prétentieu­se. En matière de sexe, on appelle ça un

coup d’une seule nuit et ce sont parfois ceux qui laissent les meilleurs souvenirs.

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