The Cramps
“SONGS THE LORD TAUGHT US” ILLEGAL
Quatre ans après leur formation autour du couple Poison Ivy/ Lux Interior, un EP enregistré avec Alex Chilton à la production et un concert dans un hôpital psychiatrique, les Cramps sortent enfin leur premier album. On est en 1980. Le punk, qui a incité le duo infernal à s’installer à New York, s’est fait planter un pieu dans le coeur depuis un moment, remplacé par le post-punk et sa famille nombreuse de sous-genres. Le monde n’est pas prêt — mais le sera-t-il un jour ? — pour ce “Songs The Lord Taught Us” et ces Cramps qui troublent les esprits : faut-il les prendre au sérieux, eux qui professent leur amour pour la série Z, l’horreur cheap et les poubelles de la pop culture ? Sont-ils rétro ou représentent-ils l’avenir du rock ? Et pourquoi n’adhèrent-ils pas à la formule rock traditionnelle et n’ont-ils pas de bassiste ? C’est l’époque du personnel de rêve avec le terrifiant Bryan Gregory à la guitare et Nick Knox, le batteur impassible. Le quatuor cultive ses particularités et ce son primitif, quelque part entre garage crasseux et rockabilly joué avec l’énergie destructrice du punk et reprend des classiques du rock (“Fever”), de “Nuggets” (“Strychnine”), voire des tréfonds de l’underground rock’n’roll (“Sunglasses After Dark”). Les riffs ont la subtilité d’une tronçonneuse que Link Wray mettrait en marche, la batterie est d’une simplicité tribale. Tout cela serait déjà excitant, mais ce qui rend les Cramps inimitables, ce sont les interprétations de Lux Interior. Il éructe, hoquète, braille, à la manière d’un Elvis dégénéré, des paroles mêlant surréalisme et humour noir — du psychopathe qui colle la tête de sa copine dans sa télé (“TV Set”) au loup-garou ado portant un appareil dentaire (“I Was A Teenage Werewolf”). Certains accuseront ensuite les Cramps de piller leurs sources, de recycler la sous-culture dont ils raffolent. Mais ceux-là ont-ils vraiment écouté “Garbageman” et son texte en forme de déclaration d’intention (“Louie, Louie, Louie, Lou-ie the bird’s the word and do you know why ?”), faisant allusion à deux reprises, incontournables des live du groupe ? Le malentendu ne s’arrangera pas lorsque, après trois ans d’inactivité forcée pour des problèmes judiciaires avec son label, le gang reviendra, ajoutant cette fois du sexe, évidemment kinky et déviant, à son cocktail entêtant.