Téléphone

“AU COEUR DE LA NUIT” EMI

Fond noir, fringues noires, cernes noires sous les yeux brillants : Téléphone “Au Coeur De La Nuit”, 1980 ! Celui-ci pour cela, cette année-là quelque chose flottait dans l’air, tous les espoirs étaient permis, tous les coups aussi : on semait graines d’embrouilles, on récolta Tonton... et pour l’intense dégelée de rocks maigres et saignants comme des matous de pavé qu’il assène, et pour le bordel jubilatoire que répandaient leurs concerts de minos chahuteurs dans la cour des grands d’ailleurs, et pour les paroles décochées sans complexe, enfin, la plupart... Aubert n’avait pas encore pris en charge le sort d’un monde bancal, sur ses épaules nerveuses glissait “La Laisse” de sa guitare en chasse d’émotion fortes. Téléphone était un groupe de rock solidaire, fier de l’être et malin, et ses yeux sombres, c’est vrai, brillaient dans la nuit de Paris, sa ville en fleurs, du sang sur ses épines... Produit par Martin Rushent (les trois premiers Stranglers), l’album se distingue par une qualité rarement assumée en France : sa méchanceté. Une méchanceté vitale, impérieuse, injuste comme il faut, et drôlement contagieuse : griffes, claques, pulvérisations de poudres diverses à tous les coins de textes, et la mort qui rôde au coin des rues. Les Téléphone ne traînent pas : ils en sont, n’en sont plus, sont au

coeur de tout ça, sont au-dessus de ça. Défoncent tout sur leur passage... “Au Coeur De La Nuit”, “Ploum Ploum” (lui répondra “Ex-Robin Des Bois” sur “Dure Limite”, un ton en dessous quand même), “Pourquoi N’Essaies-Tu Pas ?”, “Seul” et surtout, surtout “Argent Trop Cher”, le plus formidable morceau de bravoure d’un groupe qui n’en fut pas avare, bunker édifié par la description photo-cellulaire de Jean-Louis, miné de bas en haut par la basse de Corine, dynamité par la frappe prodigieuse de Richard et implosé du toit par les sirènes tourbillonnantes de Louis : la fin d’un monde. Téléphone pète un poil plus haut que la petite histoire du rock français, force une porte vers l’inconnu, “2000 Nuits” plus une...