The Specials
“MORE SPECIALS” 2-TONE
C’était la fin des années 70, autant dire le début de la vie pour beaucoup d’entre nous. Le punk a fait long feu, new wave et technopop se partagent le marché rock, quand soudain sort des banlieues anglaises une fulgurante mode ska. En un tour de main, ce rythme trépidant dont l’origine jamaïcaine reste mystérieuse est partout. En un clin d’oeil, le monde est bicolore. Costumes, cravates, lunettes et chapeaux sont noirs, chemises et chaussures blanches. Le badge à damier est sur tous les revers et les skinheads sont les plus gentils garçons du monde. Madness, The Beat, The Selecter font fortune mais les Specials sont certainement les plus doués de la bande. Originaire de Coventry, ce groupe multiracial réconcilie toutes les races de la terre. Emmenés par le pianiste prodige Jerry Dammers, gonflés d’une pétaradante section rythmique et des voix croisées de Terry Hall et Neville Staples, les Specials enregistrèrent un premier album produit par Elvis Costello, riche en hymnes imparables tels “Gangsters” ou “Too Much Too Young”. Ce deuxième album est moins évident mais peut-être plus intéressant encore. Comme son titre l’indique, il est de toute évidence plus étrange, more special que son prédécesseur. Fini les tubes calibrés, les refrains immédiats, l’album s’écoute d’une traite, bon dans son ensemble, sans que l’on puisse déterminer de préférence. C’est la bande-son parfaite des aprèsmidis studieuses et pluvieuses car, ce disque a beau débuter sur une invitation au plaisir (“Enjoy Yourself”), tout y est comme étrangement ralenti, un temps en dessous de l’exubérance des débuts. De même il semble enregistré de loin, comme si le groupe jouait en direct dans l’appartement du dessous. Si l’ensemble, étrange et cotonneux, est toujours résolument ska, on distingue à l’occasion quelques tonalités quasiment mexicaines et un goût prononcé pour les basses dub. De temps à autre, Belinda Carlisle et ses copines des Go Go’s oubliées viennent donner de la voix sur ce disque testamentaire, doux et amer, qui sonnera le glas des Specials emportés par les dissensions internes. Terry Hall débaucha deux de ses collègues pour former les Fun Boys Three, eux-mêmes rapidement dissous. Quant à Jerry Dammers, disparu de la circulation, il ferait le DJ à Camden. Dans les pubs.