The Clash
“SANDINISTA !” CBS
Un triple album, la chose ne s’était pas vue depuis les pires heures du prog-rock. Or c’était exactement l’effet espéré. Remettre en question toutes les certitudes d’un public, d’une presse, d’une maison de disques qui croyait tenir toutes les ficelles du groupe. Le Clash déclarait son indépendance et, s’il accueillait le titre de plus grand groupe de rock’n’roll du monde, c’était selon ses propres conditions. Les années 80 avaient leur White Album. Trois ans seulement séparent la première salve de terrorisme sonore du Clash de “Sandinista !”, trois années durant lesquelles Strummer, Jones, Simonon et Headon ont renoncé à certains de leurs idéaux punk pour en embrasser d’autres, plus futiles ou plus cruciaux. L’époque était à l’expérimentation, PiL (avec “Metal Box”, véritable concurrent de “Sandinista !”) , Gang Of Four et les Mekons prouvaient que le punk rock n’était qu’un incendie localisé et que la destruction nucléaire restait encore à accomplir. Ayant résumé le rock’n’roll en un “London Calling” définitif, le Clash est aussitôt parti dans son voyage le plus novateur et audacieux, au plus profond des jungles urbaines. Dans un nuage de spliff, le Clash cherchait la vérité dans le dub obscur et le rap naissant, le jazz junkie, la psychédélie folk et la soul fervente. L’effort est récompensé, chaque réécoute révélant l’intense beauté des arrangements orchestrés par un Mick Jones gagnant ses galons de génie musical, tissant une toile sonore fluide autour de la voix étranglée de Joe Strummer qui se découvre une identité de poète néo-beat révolté et impuissant, tel le soldat Willard dans “Apocalypse Now” qui observe les yeux écarquillés l’univers s’écrouler sans rien y comprendre. La musique pop vit toujours dans l’ombre de ce chef-d’oeuvre fêlé. Le voyage prend son terme sur “Sepherds Delight”, poignant instrumental d’une lenteur épaisse, un réveil, un retour à la case départ après une nuit agitée remplie de rêves et de cauchemars, une errance matinale dans laquelle les souvenirs s’emmêlent et les mots glissent comme du sable entre les doigts.