Squeeze
“EAST SIDE STORY” A&M
C’était un temps déraisonnable. On étiquetait punk chaque nouveau venu, quels que soient son style ou ses ambitions, pourvu qu’il ne porte ni cheveux longs ni pantalons pattes d’éléphant. C’est sans doute difficile à imaginer aujourd’hui mais, Nick Lowe, Elvis Costello, Undertones ou Jam se virent affubler de l’étiquette. Ce qui, d’ailleurs, leur permit une accélération de carrière non négligeable. Squeeze connut le même sort. Débutant en 1977 par un 45 tours autoproduit comme le faisait toute la nouvelle génération, le groupe n’a rien fait pour éviter la confusion. Ce n’est qu’au fil des mois qu’on put se rendre compte qu’il comptait dans ses rangs un tandem d’auteurs-compositeurs digne de figurer dans une noble lignée, peut-être pas celle des Lennon-McCartney — évitons l’hyperbole — mais dans la tradition Gallagher-Lyle, Gouldman-Stewart, etc. Chris Difford et Glenn Tilbrook sont à l’origine de l’aventure, flanqués du pianiste Jools (Julian) Holland. Le nom est choisi en référence à un album du Velvet Underground moribond, ce que confirme le choix de John Cale comme producteur du premier EP, “Packet Of Three”, grâce auquel est obtenu un contrat avec A&M. Le public accroche à “Cool For Cats”, “Up The Junction”, “Pulling Mussels”... En 1980, Jools Holland, qui se révèle un excellent spécialiste du boogie, monte sa propre équipe, les Millionaires. Il est remplacé par l’ancien organiste de Ace, Paul Carrack, dont la personnalité musicale influence grandement “East Side Story”. Peu après, il quittera Squeeze pour la sémillante Carlene Carter, aussi cet album demeure comme un témoignage exceptionnel. La grande qualité de Difford & Tilbrook réside dans une aptitude à mêler le comique et le tragique, l’important et le dérisoire, avec une emphase volontaire sur la vie des classes laborieuses ou pauvres. Un parallèle avec Ray Davies, des Kinks, a souvent été tracé. A ce répertoire intelligent — c’est probablement ce qui décida Elvis Costello à coproduire l’album — Paul Carrack introduit une dimension musicale nouvelle, britannique par son raffinement, mais américaine dans son expression gorgée de soul. Deux plages du disque se détachent comme des perles, “Labelled With Love” et le magnifique “Tempted”.