Rock & Folk

The Gun Club

- VINCENT HANON

“FIRE OF LOVE” SLASH

Qui a assisté aux prestation­s apocalypti­ques du Gun Club, avec l’air un peu flippé de celui qui en a vu beaucoup, le confirmera : traumatism­e de Noir Désir ou des Screaming Trees, Jeffrey Lee Pierce était une véritable énigme. Quelqu’un de trop complexe pour accepter d’être filtré à travers une définition de swamp rock propice aux fantasmes. Ce qu’il faut seulement retenir, c’est qu’au-delà du marécage, là où l’Amérique tire régulièrem­ent la chasse, il existera toujours un bas-côté vraiment very down. Visage poupon rongé par l’alcool et le mal de vivre, président du fan-club de Blondie, le sous-commandant Pierce se met en tête de prendre, d’entrée de jeu, la relève de Tommy Johnson, Howlin’ Wolf ou de Robert Johnson. Lourd à porter, mais crédible pour qui n’a pas peur de se casser les dents. La moindre des choses quand il s’agit également de faire la peau au mythe de Creedence rongé par le cancer. Le Gun Club avait l’artillerie suffisante. Placé à la tête d’une bande de freaks et de bras cassés hollywoodi­ens sachant à peine jouer, le chant de Jeffrey était d’inspiratio­n vaudou, casse-gueule et limite castrat. Fasciné par un chaos wagnérien très “Apocalypse Now”, aussi décalé que pouvait l’être un groupe comme Love dans les années 60, ce hillbilly exigeant ne prendrait pas l’auditeur pour une chèvre. Il fallait une bonne dose de courage, des araignées dans la tête, quelques litrons de whisky indien dans le sang et un amour immodéré pour la guitare électrique — plus tard, Jeffrey tombera sous le charme de Stevie Ray Vaughan — pour affirmer comprendre tout cela. Connaître le pouvoir du free-jazz et les sordides aboutissan­ts du blues d’avant-guerre, comme en témoigne l’épileptiqu­e version de “Preaching The Blues” (Robert Johnson). Ou pour oser la déclaratio­n d’amour à Poison Ivy, cosignée avec l’étrange Kid Congo Powers (pas encore avec le Gun Club à cette époque mais déjà avec les Cramps). Jeffrey Lee Pierce avait ce courage et fut l’un des derniers héros de l’Ouest libre. Sa destructio­n annoncée eut lieu trop tôt, il n’avait que 37 ans en 1996. Quelques titres comme “Goodbye Johnny” ou “Sex Beat” battent aujourd’hui à la bonne mesure mais, dans son ensemble, ce premier album du Gun Club flanque toujours autant la trouille.

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