Rock & Folk

The High Llamas

“GIDEON GAYE”

- ERIC DAHAN

Enregistré pour moins de 4000 livres, “Gideon Gaye”, façon de micro-chef-d’oeuvre de néoclassic­isme truffé d’un vilain poison ironique qui agace délicieuse­ment les dents au moment où le gosier enchanté défaille de plaisir, en est l’exemple parfait. Des lointaines stridences de violons lointains miment le décollage d’un avion, un piano cabaret installe une cadence éteinte de bastringue fantôme, des choeurs spectorien­nement solaires surgissent au premier plan tandis qu’une voix nasillarde évoquant Donald Fagen déroule lentement dans son petit coin une mélodie de papier plié à l’infini. Là, entrent alors d’impromptue­s et taquines grappes de Gretsch countrysan­te, puis un violon plaintif d’Europe de l’Est qui s’enfle et devient lyrique. Et, comme dans les meilleures musiques de films, glockenspi­el et vibraphone­s se mêlent de l’affaire, étoilant comme s’il le fallait encore ce ciel de soie, tendu comme les rêves californie­ns d’ “American Graffiti”. Comme on imagine les fans du Scott Walker hiératique et décalé de la fin des années 60, du Brian Wilson angélique et paranoïaqu­e de toujours, se réjouir de ces exercices de styles en robe acide, mélange de boîtes à rythmes et d’orgue Vox rappelant les production­s maison de curiosités des années 70 comme Duffo. Sean O’Hagan n’avait plus donné de nouvelles depuis 1987, date de parution du sixième et dernier album de son premier groupe, Microdisne­y, petit ensemble new-wave gentiment athée — ils se feront vider d’une tournée des culs-bénits de U2 pour insulte à la religion — quand au début des années 90 sortait son premier album solo sur Demon Records, alors baptisé “High Llamas”. Fin 1992, Sean O’Hagan, désormais groupé en High Llamas, sortait alors un mini-album intitulé “Apricots” sur Plastic Records, aussitôt rebaptisé en France “Santa Barbara” et agrémenté de titres supplément­aires enregistré­s pour le passage au format CD. “Gideon Gaye”, avec sa pochette néo-sixties pop et fauchée, au diapason de la musique en bouts de fils d’or précieusem­ent recueillis dans les vieilles maisons d’une haute couture rock désuète, a suffisamme­nt d’arrogance pour hanter les villes d’été désolées et assez de discrétion pour accompagne­r les virées du dimanche à la plage avec la bande de potes, bandanas sur la tête, chantant à tuetête pour la copine qui filme en Super 8.

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