Beck
“ODELAY”
Et Beck se crut en 1967. Deux ans avant “Odelay”, dans une étrange poussée d’inspiration, le petit homme blond qui faisait les bars torves de Californie avec sa guitare sèche découvrait la formule secrète d’un folkblues férocement paresseux. “Loser” était l’hymne qu’une époque attendait. “Nouveau Dylan, nouveau prophète”, disait-on de lui. Il ne lui en suffit pas plus pour qu’il se précipite dans la direction opposée. Aussi, Beck sauta le folk (parderrière diront certains) et, découvrant les plaisirs lysergiques et la pédale fuzz, se lança dans la psychédélie primale. Pas celle précieuse et ampoulée de Pink Floyd ou celle, molasse, de Grateful Dead, non. Plutôt le son énergique et naïf des garage bands pléthoriques et oubliés de 1967, les Electric Prunes et Seeds dont la saine incapacité musicale interdisait toute virtuosité mais autorisait toutes les audaces. A preuve les emprunts qu’il fait au meilleur de l’acid-punk, du surpuissant riff de “Devil’s Haircut” (piqué au “I Can Only Give You Everything” des obscurs Little Boy Blues) aux bouts d’orgue et de guitare tirés du premier Them. A partir de cette décharge publique musicale, seulement armé de “two turntables and
a microphone” (“Where It’s At”), Beck construit un chef-d’oeuvre bordélique. Car on entre dans “Odelay” comme dans une boutique de prêteur sur gages, une échoppe du marché d’Istanbul dans laquelle il vante ses produits les plus bancals comme des petits bijoux d’artisanat local. On y reconnaît des sons de jeux vidéo foutus en l’air, boîtes à rythmes mal réglées, guitares saturées et samples collés n’importe comment. Et il ne s’arrête pas là, utilisant la même méthode pour ses paroles, reliant le
“stream of consciousness” de Joyce au “cut-and-paste” de Burroughs, les métaphores de Ginsberg aux visions sombres de Ferlinghetti. C’est à eux autant qu’aux maîtres old school tels que Grandmaster Flash ou Fab Five Freddy qu’il doit son style de rap, ce rythme funky de blanc-bec en colère et totalement barjot, entrant dans une furie sans nom sur l’incroyable “Diskobox” qui conclut le disque dans une explosion distordue électrique qui racle les infrabasses et fait péter les aigus. Quand on a la coiffure du diable dans sa tête, on n’a peur de rien.