Rock & Folk

Weezer

“PINKERTON”

- THOMAS VANDENBERG­HE

Beaucoup se demandaien­t en 1996, après les trois millions et demi d’exemplaire­s écoulés du premier (et alors déjà culte blue) album, ce que Rivers Cuomo, le leader de Weezer, allait lui donner comme suite. Nul en tout cas ne pouvait imaginer qu’il reprendrai­t ses études à Harvard dans l’anonymat le plus total, se laissant pousser la barbe et marchant avec une canne suite à une opération lui ayant raccourci la jambe droite. Après le succès internatio­nal et trois hits énormes sur MTV, le gars quitte donc Los Angeles, revient incognito sur les bancs de la fac à Boston où il a grandi, pour étudier la littératur­e anglaise et débuter l’écriture d’un opéra-rock de science-fiction intitulé “Songs From The Black Hole”, dont il ne gardera que quelques titres pour finalement accoucher de “Pinkerton” (du nom d’un personnage de l’opéra “Madame Butterfly” de Puccini). Si on suit jusqu’au bout l’histoire de la power pop, il y a forcément un avant et un après “Pinkerton”. Rarement groupe aura fait sonner la mélancolie de façon aussi explosive que Weezer, qui signe là un disque radicaleme­nt différent du précédent. Les amateurs d’histoires d’inadaptés sentimenta­ux et de frustratio­ns sexuelles s’en donnent à coeur joie : ce sont pour ainsi dire les seuls thèmes abordés. Alors si, quand il écrit l’album, Cuomo n’a pas un moral à tout casser, quand il l’enregistre, il sait lui conférer un son totalement abrasif et électrique. Du titre d’ouverture “Tired Of Sex” (autour de la culpabilit­é ressentie par l’auteur après ses abus de groupies sur la tournée du premier album) au refrain de “Pink Triangle” (sur cette fille dont il est fou amoureux mais qui est lesbienne) en passant par “Getchoo” (solo de guitare démentiel) ou “No Other One” (qui sonne comme une valse à l’envers), “Pinkerton” est un insolent ouragan de guitares et de solos rassembleu­rs. Pour beaucoup, le morceau de bravoure reste le déchirant “Across The Sea”, en réponse au courrier d’une fan japonaise, à qui il devra de l’avoir délivré d’un blocage créatif pendant l’écriture des maquettes. L’immense qualité de l’album et de deux singles (“El Scocho” et “The Good Life”) passés quasi inaperçus n’y feront rien : “Pinkerton” est boudé à sa sortie par la critique et le public. Mais défendu par un bataillon de fans hardcore, “Pinkerton” finira par gagner, lui aussi, ses galons d’album culte.

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