Rock & Folk

Alain Bashung

“FANTAISIE MILITAIRE”

- ALEXIS BERNIER

Attention, pas question de passer à côté de celui-là. Voici la suite différée de “Play Blessure” et “Novice”, presque dix ans après, le dernier volet de cette trilogie destroy déprimée qui fit d’Alain Bashung beaucoup plus qu’un chanteur de rock français. Pourtant avec les années 90, le père de “Gaby” donnait l’impression de s’être rangé. Ne dit-on pas qu’il a arrêté de boire et de séduire à tout va pour calmer ses angoisses ? Ne pose-t-il pas dans les hebdomadai­res féminins en papa gâteau avec fiston sur les genoux ? L’homme qui fut “toujours sur la ligne blanche” semble ici avoir atteint une sorte de maturité intellectu­elle et artistique qui lui permet de composer sans trop d’angoisses des monuments aussi beaux qu’inutiles : des “Chatterton” et “Osez Joséphine”, oeuvrettes techniquem­ent parfaites mais autrement moins troublante­s que les saillies suicidaire­s des années 80. Sa petite entreprise tourne à plein régime. Barclay fait fructifier le fonds de catalogue à coups de coffrets et double live. Et puis soudain, rien ne va plus. “L’amour t’a

faussé compagnie”, comme il chante dans le morceau qui donne son titre à ce disque qui n’a rien d’une fantaisie, qu’elle soit militaire ou non. Mais en tout cas Bashung, qui est au mieux (artistique­ment parlant) quand tout va mal, enregistre soudain un grand disque morbide de plus. Un album d’automne pour la pochette duquel, le teint cireux, les traits tirés, momifiés, il pose le corps noyé dans une mare purulente de lentilles d’eau. Rien à voir avec la new wave arrogante de ses illustres prédécesse­urs, “Fantaisie Militaire” est un disque de fureur rentrée. Ici, il y a presque autant de violons que de guitares et beaucoup moins de colère que de tristesse. On l’aura compris, cet album n’est pas gai. A l’époque, on s’attendait à ce que le disque, encensé par la critique, soit boudé par le public. Surprise, ce sera finalement l’un des plus grands succès de l’Alsacien neurasthén­ique. Savoir que des centaines de milliers de bons Français ont écouté en boucle un truc aussi superbemen­t déprimant que “Aucun Express” fut la meilleure nouvelle de 1998.

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