Air
“MOON SAFARI”
Chassez un musicien par la porte, il rentrera à coup sûr par la fenêtre. Godin et Dunckel avaient tenté le coup avec Alex Gopher à la basse dans un groupe nommé Orange. L’accueil de leur cassette démo fut fluide et glacial. Orange splitta. Mais fin 1995, Godin et Dunckel se retrouvent en duo (Air donc) sur une compilation Source. Le NME repère immédiatement ce “Casanova 70” et fait du titre des deux frenchies son single de la semaine. La sortie du 5-titres “Premiers Symptomes” est tellement bien accueillie que Air attaque l’album “Moon Safari”. Durant neuf mois, pression palpable, les titres sont composés dans le 18e arrondissement parisien, rue Burq, puis enregistrés à Saint-Nom-la-Bretèche sur un huit-pistes, sans jamais perdre le côté artisanal aussi charnel que plaisant qui fait l’essence de Air. Interviewés lors de leur tournée US, Godin et Dunckel font tout pour préserver le mystère : ils sont de ces duos où l’un commence une phrase et l’autre termine l’idée en précisant la pensée de son ami. Les deux partenaires procèdent-ils de la même façon lorsqu’ils composent ? En dépit de tous les Moog, Korg MS 20, Fender Rhodes, Vocoder et autres instruments vintage, “Moon Safari” est un disque moderne qui, le premier, appréhende les changements de l’époque. Le rock n’a-t-il pas gagné toutes les batailles, participé à la libération sexuelle, la fraternité générationnelle et l’émancipation des adolescents ? Mission accomplie, il peut désormais se fondre dans un décor pop à souhait (lampes à bulles, fauteuils Eames) pour devenir la bande-son d’une histoire qu’on rêve plus gaie, claire, fraîche. Réfléchissant rétroactivement sur la trajectoire fulgurante de “Moon Safari”, Marc Teissier du Cros (du label Source) s’émerveille. S’il n’avait pas connu JB et Nicolas au lycée, rien ne serait sans doute arrivé, Godin se considérant au départ
“pas au niveau”. Triomphe d’une équipe aux obsessions francophiles (Ravel, Pierre Henry, Jean-Jacques Perrey, Gainsbourg), la musique de Air est de celles qui peuvent sinon changer la vie des gens, du moins essayer de la rendre plus agréable. Dernier détail : “Moon Safari” manqua s’appeler “Audiorama”, “Melloscope” et plein d’autres noms. Jean-Benoît Dunckel avait griffonné des dizaines de possibilités mais c’est le souvenir d’une nouvelle de Ray Bradbury qui fit le reste.