Rock & Folk

Manu Chao

“CLANDESTIN­O”

- NIKOLA ACIN

Manu Chao a coupé les amarres qui le reliaient au monde et s’est laissé dériver. L’aventure de la Mano Negra l’ayant poussé aussi loin qu’il était possible d’aller dans l’expérience d’un groupe de rock traditionn­el, il a puisé dans les errances de la Mano ces aventures dignes de Tintin durant lesquelles le groupe a mené un cargo sur les côtes de l’Amérique du Sud puis un train à travers la Colombie, pour se donner le courage de partir à travers le monde, seul cette fois. Deux, trois, quatre années le voient acquérir son passeport d’homme libre, rare privilège que Manu a payé le prix fort, plongeant dans les larmes, la solitude et le doute dans le but de trouver cette vibration, ce rythme, cette mélodie intérieure qui le hante. Bricolant quelques chansons, c’est dans la techno que Chao découvre ce qui lui manquait depuis la fin de la Mano, cette sainte convulsion, cette énergie vitale qui fait vibrer un public dans une communion d’esprit et une saine rébellion. Il trouve trois accords et deux refrains et les colle sur des rythmes techno épais et violents et mêle dans un trait de génie la mélancolie de ses années sombres à la festivité des bpm. Et puis, en studio avec le prodigieux Renaud Létang, Manu décide un soir de supprimer tous les sons techno, osant suspendre en l’air des chansons qui cachaient leur nudité sous leurs atours sonores. C’est à ce moment qu’est apparue l’aveuglante évidence de la beauté de ces morceaux, collection de vignettes poignantes connectant les dialectes musicaux des voyageurs, le reggae, le folk, la chanson dans ce qu’elle a de plus pur et de plus narratif, quelque chose comme la rencontre de Hank Williams, Bob Marley et Pablo Neruda dans un rade borgne de Mexico City. C’est également ce qui explique l’immense succès de “Clandestin­o” dans le monde entier. Faisant fi de l’éphémère mode latino, Manu Chao a trouvé le ton juste, celui qui fait qu’il n’est pas nécessaire de comprendre l’espagnol pour immédiatem­ent saisir la force des sentiments qui, de “Día Luna... Día Pena” à “Minha Galera”, de “Desapareci­do” à “Je Ne T’Aime Plus” sont racontés non seulement dans son espagnol natal, mais également en anglais, français et portugais, trouvant un espéranto de l’âme auquel chacun peut trouver le lien crucial, cordon ombilical de sa solitude personnell­e.

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