Pascal Comelade
“L’ARGOT DU BRUIT”
Le Catalan Pascal Comelade est un musicien autodidacte, doué et prolixe. Assez inclassable, son univers évolue entre musique de film et folklores divers revus par un esthète, avec un parti pris arty soigneusement entretenu par de multiples références à l’Art Brut et de nombreuses collaborations valorisantes (Bob Wilson, Diane Bertrand, Combas, Willem...). Ce sixième disque, publié en 1998, est certainement le plus réussi. La pochette et le titre choisis mettent à l’honneur Gaston Chaissac (peintre et écrivain contemporain), les compositions retrouvent le charme entêtant de ces instrumentaux qui doivent beaucoup à Nino Rota, avec bouffées d’accordéon, trompettes bouchées, piano d’enfant et tangos mélancoliques : une sorte de bastringue raffiné prenant l’apparence de la bande-son d’un film virtuel (“Le Soir Du Grand Soir”, “L’Argot Du Bruit”, “Domisiladoré”). Le choc naît de rapprochements insolites, de l’utilisation au premier plan d’une profusion d’instruments additifs tels le triangle et du recours à une variété incroyable de guitares et de trompettes. Il s’en dégage une impression de foisonnement qui va de pair avec la recherche d’un certain dépouillement (“Marie...”). Les ouvertures du côté de la chanson et du rock semblent plus anecdotiques : les deux interventions de Gérard Jacquet entérinent l’importance accordée à la musique catalane. “The Sad Skinhead” ne parvient pas à retrouver la pulsion obsédante qui faisait toute l’originalité de Faust, groupe de rock allemand du début des années 70, et ce malgré la participation du chanteurcompositeur. Reste le gros morceau, à savoir l’intervention de PJ Harvey sur deux titres qu’elle cosigne : avec “Love Too Soon” (ballade imparable) et “Green Eyes” (plus dépouillé et lancinant), la voix de l’Anglaise fait réellement son effet dans un registre feutré que ne renieraient ni Ricky Lee Jones ni Sinéad O’Connor. Mais il ne s’agit que de parenthèses dans un cirque musical majoritairement instrumental et totalement original dont le rock ne constitue qu’une influence parmi d’autres, et certainement pas l’une des plus importantes. Car, avec Comelade, rythmes latins et culture populaire sont transfigurés par une démarche unique, aussi insolite et réjouissante que la reproduction sur le livret d’une réplique en bouchons de la Sagrada Familia.