The Coral
“THE CORAL”
Difficile de monter un groupe de rock quand on vient de Liverpool, ville vampirisée par un seul et même groupe depuis un demisiècle, et dont les artistes émergents sembles touchés par la malédiction. Des La’s aux Pale Fountains, Liverpool est devenue un repaire d’artisans de la pop aussi doués que désespérément cultes. Derniers en date de cette lignée, The Coral fut, au début des années 2000, le jeune groupe le plus enthousiasmant d’Angleterre, avant de se saborder superbement alors que le succès lui tendait les bras. Venus de Hoylake, au versant sud-ouest de la Mersey, ces sales mômes à peine sortis de l’adolescence ont stupéfait le royaume avec un premier album débordant d’idées, de mélodies et de talent. Le corail, leur nom — qui fait aussi référence au label mythique de Buddy Holly — ne pouvait qu’être marin, pour un groupe élevé au bord des docks et dont la musique témoigne du passé de la ville : amour de la pop ciselée façon Beatles, des harmonies délicates, des guitares vagabondes, mais aussi des chants marins, ces sea shanties que les navigateurs au long cours entonnaient pour se donner du courage et dont l’influence nourrit des titres tels que “Shadows Fall”, “Spanish Main” ou “Calendars And Clocks”. Nourri du rock psychédélique des années 60, The Coral possède un côté West Coast qui le rapproche de Love (“Goodbye”) ou des Doors (“Waiting For The Heartaches”). Imprévisible, la musique du sextette prend des détours inattendus tout au long de ce premier album kaléidoscopique. Un break jazz par-ci (“Shadows Fall”), un passage kazatchok par-là (“I Remember When”), un interlude space rock (“Goodbye”), une excursion chez Captain Beefheart (“Skeleton Key” et ses rythmes alambiqués) : les idées de The Coral sont parfois difficiles à suivre à première écoute, un peu comme chez Frank Zappa, dont l’ombre plane. L’album contient le tube absolu du groupe, l’irrésistible envolée ska de “Dreaming Of You”, symbole d’un disque chaleureux, multicolore et narquois. Le premier album étourdissant d’un jeune groupe à l’inventivité débordante qui allait ouvrir les portes du succès pour The Coral, avant que James Skelly ne tombe lentement dans la dépression et ne décide de se forger un destin à la Lee Mavers. Il ne pouvait en être autrement pour ces cosmicscousers.
ERIC DELSART