Queens Of The Stone Age
“SONGS FOR THE DEAF”
Pour narrer “Songs For The Deaf”, il faut évoquer le désert, les vautours, les cactus. Au début des années nonantes, les étendues arides de Palm Springs, non loin d’un complexe nudiste désaffecté, sont le théâtre d’étranges et mythiques bacchanales nocturnes baptisées generator parties. Le principe : une fois la nuit tombée, on branche les amplis sur des groupes électrogènes, un gigantesque feu de camp crépite, l’herbe grésille et une communauté souterraine, défoncée au crystal meth, découvre les premiers gangs stoner dont Kyuss, mené par un géant rouquin nommé Josh Homme. Un contexte particulier qui façonnera le martèlement plombé et hallucinogène de “Songs For The Deaf”. Nous sommes en 2002, et Josh Homme a retrouvé son compère bassiste Nick Oliveri, trublion instable au crâne chauve et au bouc proéminent. Mark Lanegan, le ténébreux vocaliste des Screaming Trees, a aussi rejoint la troupe. Mais l’impulsion définitive est donnée lorsque le monumental Dave Grohl, grand fan de Kyuss, est rameuté pour pallier le forfait de Gene Trautmann. Cette assemblée d’élite sera à l’origine de l’un des grands chefs-d’oeuvre de la décennie : “Songs For The Deaf”. Celui-ci tourne autour d’un concept futé : les morceaux, parfois piochés dans les Desert Sessions organisées par Josh au Rancho De La Luna, sont entrecoupés d’interventions gouailleuses de DJ factices transportant l’auditeur quelque part sur la route entre Los Angeles et le désert de Mojave, l’autoradio égrenant les stations les plus insolites. Cette idée se voit bien supportée par des titres aux styles variés : du punk hardcore braillé de “Six Shooter” et “Millionnaire” aux mid-tempos crépusculaires de “Hangin’ Tree” et “God Is In The Radio” (psalmodiées par la voix profonde de Lanegan), en passant par la pop hardie et sexy des tubes “Go With The Flow” et “Another Love Long”, tout est rigoureusement parfait ici, y compris les titres moins cités (“Gonna Leave You”, “First It Giveth”). Cet alliage au son compact, ultime, trouve son sommet avec les mastodontes “No One Knows” et “A Song For The Dead”, ruades terminales, musculeuses, infernales. La vision de l’Elvis roux fera date : avec “Songs For The Deaf”, objet maintes fois copié mais évidemment jamais égalé, il devient l’un des incontestables patrons du rock and roll contemporain.
JONATHAN WITT