Todd Rundgren
“A WIZARD, A TRUE STAR” BEARSVILLE
Rescapé des années 60 durant lesquelles il officiait au sein de Nazz, Todd Rundgren a, à l’époque de la sortie de ce disque, déjà publié trois albums solo presque normaux (tendance bon auteur/ compositeur/ interprète du début des seventies) dont le dernier, “Something/ Anything”, est alors considéré à juste titre comme un chef-d’oeuvre pop qui doit lui ouvrir les portes du succès absolu. Todd le Tordu lamine définitivement ses chances lors d’un show télé énorme, au cours duquel il doit interpréter son hit, “I Saw The Light”. Il arrive déguisé et maquillé d’une façon telle qu’il fait passer Bowie pour un gentil bureaucrate (ce qu’il est ?). L’Amérique horrifiée l’envoie direct aux poubelles de l’histoire (sur le couvercle, il y a marqué
loser). Et comme si cela ne suffisait pas, il sort cet album totalement éclaté, pour lequel il fait absolument tout tout seul — n’oublions pas que c’est un génie, comme certains lecteurs ne manquent pas de le rappeler régulièrement — sorte de voyage à l’intérieur de son cerveau (très atteint, le garçon venait de découvrir les trips de LSD dont il ne reviendra jamais vraiment, la suite de sa carrière le confirmera). Il enchaîne des morceaux tous plus bizarroïdes les uns que les autres dans de grandes glissades de synthés (technologie alors balbutiante que personne ou presque ne maîtrise), l’inspiration part dans tous les sens : pop, ballades, rock, solos hystériques, instrumentaux déphasés, soul concassée, aboiements de chiens, etc. Sa maison de disques réussit à extraire un single (magnifique), “Sometimes I Don’t Know What I Feel” (sans blague ?!) et basta. Todd Rundgren est en route pour le grand voyage de l’artiste maudit. Reste cet album, incomparable, lumineux et déjanté. Il suffit de prendre “Zen Archer”, “International Feel” ou l’incroyable “Just One Victory” : on n’en fait plus, des comme ça (pour la bonne raison qu’on n’en a jamais fait). Le plus troublant est que cela s’écoute toujours aujourd’hui, même à jeun, avec grand plaisir. STAN CUESTA