Rock & Folk

Bob Marley And The Wailers

“CATCH A FIRE” ISLAND

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Jusqu’ici le reggae était resté une musique de singles s’adressant aux Jamaïcains et à la communauté antillaise exilée en Angleterre. La majorité des chansons tournaient autour du plus fédérateur des sujets, le sexe. Avec des titres tels que “Spermy Night Over Kingston” ou “Wet Dream”, le reggae était même considéré dans les discothèqu­es comme parfait levier pour toutes les mises à feu lubriques. Pourtant Chris Blackwell, patron d’Island, estimait qu’il suffirait de quelques compromis pour intéresser les marchés européen et américain, comme d’envisager la sortie d’un album avec une dizaine de chansons organisées autour d’un thème central. Encore fallait-il trouver l’artiste susceptibl­e de porter un tel concept. Et c’est là que Bob Marley, flanqué des deux autres Wailers historique­s, Peter Tosh et Bunny Wailer, entre dans le bureau. Et s’engouffre avec lui une culture au dépaysemen­t radical, sa cohorte de coutumes, de mots et de symboles, sa vision du monde imprégnée de millénaris­me et de prophéties et plus encore, une vibration inconnue. Paru en décembre 1972, “Catch A Fire” est le premier disque de reggae conçu comme un album rock. Pour épauler les trois Wailers et leur section rythmique, composée des frères Barrett, Aston Family

Man et Carlton, Blackwell fait appel à quelques musiciens de studio dont Robbie Shakespear­e, ce dramaturge de la basse à qui l’on doit une monumental­e secousse sismique sur “Concrete Jungle”. Les choeurs sont chantés par Rita Marley, Marcia Griffiths et Judy Mowatt, avant qu’elles n’adoptent le nom des I-Threes. Enregistré à Kingston, l’album sera mixé dans un studio londonien où Blackwell ajoute des séquences de synthés et fait venir le guitariste de Muscle Schoals Wayne Perkins, pour livrer quelques parties de guitare dont ce superbe solo au lyrisme sinueux s’enroulant comme une liane autour du tronc puissant de “Concrete Jungle”. Bien que les Wailers s’octroient quelques instants de légèreté sur “Kinky Reggae” et “Rock It Baby”, l’album est construit sur une imparable logique dialectiqu­e unissant aliénation et rébellion. La descriptio­n d’une situation contempora­ine sur “Concrete Jungle”, l’évocation d’une condition historique avec “Slave Driver” et “400 Years”, alimentent le feu d’une révolution (rasta) dont ce disque est la première mèche. Le premier couplet d’un flamboyant cantique de la racaille. FRANCIS DORDOR

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