Jethro Tull
“A PASSION PLAY” CHRYSALIS
Malgré sa réputation de troupe de comédiens barbus du prog folk, Jethro Tull a produit certains des albums les plus inventifs, scabreux et très rock des années 70. Et “A Passion Play” pourrait bien être son meilleur. Sorti à la suite du couronné de succès “Thick As A Brick” (1972), mise en boîte gagnante d’un concept-album, “A Passion Play” était également une suite continue de musique, plus sérieux cependant que son prédécesseur. Il ne l’était pas complètement, mais son mélange de mysticisme de bazar et d’arrangements complexes ont produit un disque qui reste joyeusement stimulant aujourd’hui... Côté paroles, “A Passion Play” suit son protagoniste récemment disparu dans son voyage après la mort, rencontre avec Dieu et le diable comprise — on se croirait dans “L’Enfer” de Dante ou “Le Paradis Perdu” de Milton, revu en spectacle théâtral, joué par le Rotary Club local, saupoudré d’humour satirique et d’apartés insolents. En fait, on peut avancer que les Jethro Tull, à cette période, étaient l’équivalent musical des Monty Python, à la fois loufoques et intelligents, le surréalisme universitaire remplacé par la truculence du Nord de l’Angleterre. Mais c’est la musique — torrent délirant de riffs martelés, de danses païennes et d’interludes acoustiques — qui distingue “A Passion Play” du reste du prog. Et sa palette sonore élargie : le leader Ian Anderson joue du sax soprano et de la flûte, cette dernière démultipliée pour obtenir un effet cosmique qui désoriente, tandis que les synthés sont utilisés pour la première fois sur un album du groupe. La musique est exigeante, mais elle n’est jamais difficile par plaisir — à l’inverse des origines psychédéliques ou classiques de l’aristocratie prog comme Yes, Genesis et ELP, Jethro Tull avait des racines blues-rock, ce qui explique pourquoi, même à son plus obtus, le groupe ne semble jamais frimer. Citons, parmi les grands moments, le groove démoniaque de “Critique Oblique”, la tension montante de “The Foot Of Our Stairs” et le défoulement exultant de “Magus Perdé”. A sa sortie, “A Passion Play” n’a pas été bien accueilli par les critiques — il s’est néanmoins classé numéro 1 dans les charts américains. Et si Anderson reste mitigé à son sujet, c’est un exemple brillant de théâtre musical courageux, d’un temps où les groupes n’avaient pas peur de provoquer un petit effort d’imagination chez leurs fans. JOE BANKS Traduction Isabelle Chelley