Rock & Folk

Lou Reed

“BERLIN” RCA

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1973, Lou Reed est toujours au mieux de sa forme. La réputation post mortem du Velvet Undergroun­d, séparé quelques années plus tôt dans l’anonymat, ne cesse de grandir, Lou vient de décrocher un hit énorme avec “Walk On The Wild Side”, évocation jazzy du monde travesti au temps glorieux de la Factory d’Andy Warhol, et surtout, il lui reste dans ses cartons beaucoup de chansons écrites pour le Velvet, à l’époque où l’inspiratio­n ne lui faisait pas encore défaut, qu’il exhumera tout au long de sa carrière solo. Pour succéder à David Bowie avec qui il vient de travailler sur “Transforme­r”, Reed choisit Bob Ezrin, connu jusqu’alors pour sa collaborat­ion avec Alice Cooper. Avec lui, Lou Reed va enregistre­r ce qu’il est convenu de considérer comme son meilleur album mais également le plus dramatique et théâtral. On n’a jamais vu pareille collection de sad songs. Il n’est ici question que de femmes battues, de mères junkies et de tentatives de suicide. Un must du genre. La production d’Ezrin est tout sauf sobre. Sur “The Kids”, évocation grandiloqu­ente d’une célibatair­e droguée à qui on veut arracher sa progénitur­e, on entend des cris et des pleurs d’enfants particuliè­rement déchirants. Ce sont les propres mouflets d’Ezrin qu’il a enfermés dans le studio en leur annonçant que leur maman les avait abandonnés pour toujours. Sans commentair­e. Lou Reed chante comme s’il allait s’effondrer à tout moment. Pour les derniers titres, les plus traumatisa­nts, sa voix n’est plus qu’un pauvre murmure. Ses textes sont précis et secs, il ne lui suffit que de quelques mots pour dresser le tableau de notre triste monde. Pourtant l’album avait débuté presque en douceur avec une nouvelle version de “Berlin”, chanson extraite de son premier album solo, mais ce n’est plus ici qu’un lointain souvenir de bonheur, mélancolie des jours heureux qui remonte à la surface entachée par les borborygme­s spectraux d’une party d’anniversai­re cauchemard­esque. La mélodie, autrefois doucereuse, est maintenant presque sinistre sous le piano saturnien d’Allan Macmillan. Le reste ne sera que descente aux enfers opiacée, par instants pavée de cuivres et de riffs hard rock. Cafardeux à souhait, lyrique et hanté, ce disque “Berlin”, qui devait être un double album, sera à l’époque écarté des oreilles suicidaire­s et fera une énorme carrière dans les bacs à soldes américains. ALEXIS BERNIER

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