Rod Stewart
“ATLANTIC CROSSING” WARNER BROS
Le disque par lequel le malheur arrive. “Atlantic Crossing” : premier LP rock qui coupe le cordon ombilical et s’en va batifoler dans les eaux de la pop la plus accorte, une pop qui offrira ensuite des crus infiniment plus frelatés, Tina Turner, Phil Collins, Joe Cocker, etc. Mais, en ce début des années 70, Rod Stewart a un pedigree impeccable. L’Ecossais déboule des fameux Faces triomphateurs des charts, ses albums solo cartonnent fort. Grand collectionneur de voix devant l’Eternel, Ahmet Ertegun dessine pour ce flambard un écrin suranné et totalement irrésistible : rien moins que l’ancien groupe de feu Otis Redding. Il suffit de lire les notes de pochette : Steve Cropper tient la guitare, Duck Dunn la basse, Al Jackson la batterie. Diverses très grandes pointures (David Lindley, Jesse Ed Davis, Barry Beckett) soutiennent Tom Dowd lors de cette production qui doit impérativement installer Rod le Mod sur les ondes américaines des surpuissantes FM. A l’époque, Atlantic est en pleine restructuration. Quelque part, ses dirigeants sentent que deux voies se dessinent : l’intégrité rhythm’n’blues représentée par le spartiate Jerry Wexler ou la souplesse financière du nabab Ertegun. Sur ce disque de Rod Stewart se jouera le destin de la compagnie et on sait ce qu’il advint de l’aventure après “Atlantic Crossing”. Qui reste encore aujourd’hui un très écoutable effort. Les chansons sont là, très présentes, passées à la râpe de la voix papier de verre de Rod, lui-même soutenu par un orchestre flambant rock quoique compressé au-delà du raisonnable. “Atlantic Crossing” est un loukoum audiophile. Tout à fait logiquement, les
plans reggae, caisse claire, charleston, riffs et autres combines savamment démultipliées en Echoplex deviendraient la seule raison d’être du projet. D’une manière terrifiante, personne à l’époque ne se rendit compte que dans certains titres Rod racontait des horreurs infiniment pires que Bowie et Jagger réunis ( cf “In The Name Of Rock’n’Roll”). Tout à trac l’emballage du produit comptait plus que tout et ici ou là on se pâmerait sur cet album mollement agréable, poussé lors d’une campagne de promotion mondiale par Rod en personne et sa nouvelle fiancée la James Bond Girl, Britt Ekland. Une tournée n’était même plus nécessaire, les magasins de hi-fi se chargeraient du reste. CYRIL DELUERMOZ