Rock & Folk

Patti Smith

“HORSES” ARISTA

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Il faisait froid, c’était l’hiver tout le temps, on s’emmerdait à pierre fendre. On était là, figés dans notre habitude qui consistait à attendre que quelque chose se passe puisqu’il s’était toujours passé quelque chose avant, que même on n’avait que l’embarras du choix. Mais là zob, nib, le grand vide, un néant de toundra, le goulag désertifié. Quand soudain... Soudain surgit une espèce de fille, mais ce n’était pas écrit dessus. Dessus, c’était juste marqué : Patti Smith. “Horses”. Produit par John Cale. La fille — malgré tout, à la gueule, ce n’était pas Johnny Thunders, et à la voix, pas Iggy, quoique, sa petit soeur peut-être... — s’époumonait sur les lambeaux du tube des Them, “Gloria”. A l’entendre oser ça, elle avait comme un air de faire tout ce qu’on ne faisait pas, et elle ne rigolait pas, oh non, pas déjà : elle y allait, elle allait au charbon, elle faisait d’une icône son petit âtre à elle, autodafé d’amour impatient, déçu, désespéré, un côté Keith Richards, un côté Jeanne piétinant son bûcher. Patti Smith : Jeanne produite par John Cale, Nico de gouttière, du pur mercure. L’album exsude la rage de repeindre nos poètes symboliste­s, rage refoulée chez nous parce que ces poètes étaient, dormions-nous, copyright exclusif de Ferrat et Ferré... Tandis que cette mousmée tout en angles, grands yeux et phalanges noueuses jouait, elle, avec ses vers luisants au coeur de la Grosse Pomme et nous laissait des nèfles : “La Mer(de)”, ombre de Debussy et fée paresse en givre sur le miroir d’en face. Patti Smith. “Horses”. Un coup de saton dans les burnes où croupissai­t notre mémoire de taupes grelottant­es : le rock, pour nous, n’était au fond qu’un défilé de fantasmes en uniformes taillés loin. Pour elle, c’était un axe, une hache, un sas, un spasme. Patti Smith. “Horses”. Fille-mère bataille, étendard éventré, Botticelli rock’n’roll, l’Eveilleuse du Val, tout un, tout elle. FRANCOIS DUCRAY

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