Stevie Wonder
“SONGS IN THE KEY OF LIFE” MOTOWN
Que les choses soient claires, “Songs In The Key Of Life” n’est pas le meilleur disque
de Stevie Wonder, seulement l’un des cinq chefs-d’oeuvre qu’il enregistra dans les années 70 et que toute personne qui veut comprendre la musique populaire de ces quarante dernières années se doit de connaître. La raison impose que l’on reconnaisse à Stevie Wonder le plus grand talent de compositeur, d’arrangeur et de multi-instrumentiste pop. La passion, que l’on s’abandonne à cette expressivité inouïe, à ce timbre si riche en harmoniques, à cette façon de charmer la métrique. George Michael aurait donné dix ans de sa vie pour avoir écrit et non pas seulement chanté “As”, “Pastime Paradise” ou “Sir Duke” en hommage au maître Ellington — occasion pour le génie aux lunettes de soleil de déposer les canons du swingbeat aujourd’hui en vigueur dans le Contemporary R&B américain. Qui avant lui osait mêler la ferveur gospel à ces appogiatures de castrat baroque, que tentent de reproduire pitoyablement tous les Boyz II Men de la terre ? Qui alors, combinait l’esprit visionnaire d’un David Bowie, avec l’évidence mélodique d’un McCartney, la fantaisie new-orleans ou le jazz-rock et les cordes synthétiques ARP pour chanter la complainte du ghetto, la psychédélie enragée et militante d’un Sly Stone et l’aisance d’entertainer d’un Ray Charles chantant dans un vocoder ? Stevie est la conscience généreuse du peuple noir, un homme de combat et un démocrate. Poète d’une
joie dans les larmes, amoureux de la nature, des femmes, à la conscience de l’espace et du temps supérieure. On a honte pour les Will Smith qui ont osé chanter devant ce grand consolateur envoyé des dieux. Honte pour les autres éclectiques (les Prince et les David Bowie) n’ayant jamais su dépasser le souci de soi pour devenir l’otage de l’autre. Oui, Stevie a fait de nos vies une histoire et continue de l’enchanter, parce qu’il a vu, comme Bach et Mozart, la grâce et qu’il en est resté à jamais illuminé. ERIC DAHAN