Tom Petty & The Heartbreakers
“TOM PETTY & THE HEARTBREAKERS” SHELTER
Emergeant de l’obscurité au beau milieu du music business, Tom Petty et ses Heartbreakers n’avaient que peu de perspectives. Aux Etats-Unis, l’époque était encore à l’épais rock à moustaches de Grand Funk, Lynyrd Skynyrd, Guess Who et REO Speedwagon, musique basse du front dont le patriotisme botté de santiags fricotait allègrement avec la bigoterie sudiste et alcoolisée. De leur Floride natale, Tom Petty et ses acolytes avaient déjà pratiqué le genre sous le nom (ridicule) de Mudcrutch, martelant un anonyme choogle creedencien avec force solos de guitare, se créant une réputation de good time boys à l’opposé de ce dont le rock’n’roll avait véritablement besoin et que les punks allaient lui fournir. Or on aimerait bien pour la légende affirmer que Petty avait eu la prescience et le bon goût de laisser ce genre de sottises aux vestiaires des vestes à franges pour sortir les Rickenbacker et ses disques des Byrds afin de raviver la flamme de la grande pop américaine. Manque de pot, ce n’est pas le cas. Ce premier album allait séduire les Anglais au point que Petty fut un temps considéré nouvelle vague comme Elvis Costello ou Joe Jackson. Normal : l’orgue de Benmont Tench, le jeu simple et dandy du guitariste Mike Campbell et de la voix dylanienne, nasale, paresseuse et passionnée de Petty pouvaient passer pour novateurs. De boogie en rock pataud, les titres se ressemblent un peu, sans qu’une seule fois ne se dégage la moindre étincelle. Jusqu’au dernier titre. L’oreille indulgente qui se laisse aller jusqu’au bout du disque — une demi-heure à peine, on s’y fait — reçoit alors la décharge électrique, le coup de fouet, l’illumination que les auditeurs de radios américaines ont reçue en diffusant pour la première fois le single devenu emblème de Petty : “American Girl”. Un coup de batterie garage, une voix surcompressée, une guitare puisée dans le catalogue sonore de George Harrison et les Heartbreakers réinventaient la power pop, sortaient les Flamin’ Groovies de leur solitude et ranimaient Roger McGuinn, durant deux fulgurantes minutes d’un bonheur ineffable et éternellement recommencé. Tom Petty a depuis commis de bien pires albums, pris la néfaste habitude de construire d’ennuyeux disques autour d’une chanson superbe et enregistré quelques merveilles. Mais jamais il n’a été aussi audacieux. NIKOLA ACIN