Rock & Folk

Elliott Murphy

“NIGHT LIGHTS” RCA

-

Elliott Murphy devrait détester “Night Lights”. Depuis 36 ans, on écrit, dit et répète inlassable­ment que ce disque est son meilleur, comme si cela, justement, n’avait servi à rien d’autre qu’à perpétuer une légende et l’éloigner de son chef-d’oeuvre. Cette chronique ne va rien arranger. Le simple fait que l’envolée de cordes synthétiqu­es (ARP) de “Diamonds By The Yard” donne toujours, après des centaines d’écoute, la chair de poule aux bénis qui ont l’honneur (on en est là) de poser l’oreille dessus, abonde dans ce sens cruel. “Isadora’s Dancers”, débutée folky, qui monte en températur­e avant de se piquer au jeu d’un orchestre piloté par Ralph Schuckett et d’une chorale d’enfants sages, est au moins du même calibre. Amoureux (de Geraldine, photograph­iée au verso et susurrant sur le disque “and do the deco dance”), encore pétri d’espoir — ses deux albums précédents ont été accueillis de façon dithyrambi­que mais piégeuse par la presse — Elliott Murphy fait pourtant là, sans même le savoir, ses adieux à New York et à une certaine idée de sa carrière. Cet admirateur de Brian Jones et Francis Scott Fitzgerald commence impercepti­blement à adopter une attitude d’écrivain rock, trop doué pour être vrai et féru de maux croisés. “Lady Stilletto” est autant sa vision de la scène newyorkais­e d’alors qu’un portrait de Patti Smith qui enregistre “Horses” dans le studio voisin. Dans “Deco Dance”, entre Lou Reed et David Werner, Murphy dépèce le mythe pop (avec Billy Joel au piano) et le retourne à son avantage. Fasciné mais pas victime, il assène plus loin de désarmante­s contrevéri­tés (“Never As Old As You”) de dandy trop rock ou de voyou trop bien élevé. “You Never Know What You’re In For”, son hymne à la foi acoustique, dresse le bilan de ce disque intouchabl­e et d’une vie menée ensuite tambour battant avec les moyens du bord, souvent les plus dignes. Conçue par Dennis Katz (également producteur) et Steven Meizel, la pochette le montre chevauchan­t l’asphalte de Times Square un dimanche de très bon matin, à l’heure où les personnage­s de ses chansons (“Junkies, pushers, pimps and hookers”) quittent la rue. Dans leurs yeux défaits, Elliott Murphy a sûrement lu son avenir d’exilé volontaire que le succès, en s’obstinant à le bouder, n’a jamais pu pervertir. JEROME SOLIGNY

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France