Fleetwood Mac
“RUMOURS” WARNER
En pleine mode punk, c’est pourtant un album au son feutré typiquement californien, dit rock
FM, qui bat les records de ventes. En 1977, Fleetwood Mac a déjà vécu plusieurs vies. Formé dix ans plus tôt, en Angleterre, par trois anciens Bluesbreakers de John Mayall, le groupe fut une figure majeure du british blues boom, jusqu’à ce que le frontman Peter Green sombre dans un délire mystique qui le conduira à l’hôpital psychiatrique. Dès lors dirigé par le batteur Mick Fleetwood et le bassiste John McVie (aucun d’eux ne chante ni compose), le groupe continue, recrutant plusieurs guitaristes-compositeurs-vocalistes qui, successivement, quitteront le navire. En 1974, le groupe, exsangue, a émigré aux Etats-Unis. Réduit à sa section rythmique plus la claviériste Christine McVie (l’épouse de John), il embauche un couple de Californiens : Lindsey Buckingham, guitariste au fingerpicking fulgurant, et sa petite amie Stevie Nicks, chanteuse biberonnée à la country. Fleetwood Mac compte désormais trois compositeurs, deux chanteuses et un chanteur. C’est cette diversité qui fait la richesse — et le succès phénoménal — de “Rumours”. Autre ingrédient essentiel, la tourmente sentimentale dans laquelle le groupe est plongé durant les chaotiques sessions d’enregistrement où alcool et cocaïne coulent à flots : les McVie, en plein divorce, ne s’adressent plus la parole. Christine vit une romance avec l’éclairagiste du groupe, lui dédiant l’enjouée “You Make Lovin’ Fun”, sur laquelle le cocu pose sa ligne de basse avant d’aller se saouler. Lindsey et Stevie, séparés, passent leur temps à se hurler dessus. La femme de Fleetwood demande le divorce — le batteur se consolera en s’envoyant la belle Stevie. Ce jeu de chaises musicales amoureux a pourtant d’heureuses conséquences, puisqu’il inspire aux musiciens des chansons qui, toutes, parlent de leurs ruptures, qu’elles soient poignantes (“Songbird”), revanchardes (“Go Your Own Way”) ou pleines d’espoir, à l’image de “Don’t Stop”, composition de Christine McVie exhortant son ex-mari à se tourner sans regret vers l’avenir. Ce titre sera choisi par Bill Clinton comme hymne de sa campagne présidentielle de 1992. Hillary sait peutêtre si Stevie Nicks avait raison en affirmant “Rulersmakebad lovers” (“les dirigeants font de mauvaisamants”) sur “Gold Dust Woman”, qui clôt l’oeuvre de façon aussi grandiose qu’inquiétante. SYLVIA HANSEL