Rock & Folk

Television

“MARQUEE MOON” ELEKTRA

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Avec “Marquee Moon”, Television a atteint un sommet. Comme quoi, Tom Verlaine était plus qu’un snobinard imbu de lui-même. Débarqué dans l’East Village en 1968 afin de rejoindre son copain d’enfance, le presque Richard Hell, Thomas Miller, va passer les premières années de sa majorité à s’astiquer à coup de poésie en fumant des Gauloises sans filtre. Grâce aux boutiques du Manhattan post-hippie et des jobs en librairies, les deux apprentis bohêmes découvrent Rilke, Hamsum, Lautréamon­t, et vénèrent Bill Knott, un de leurs contempora­ins. En 1972, alors qu’ils vont à la performanc­e de la très hype Patti Smith, Tom se fascine pour les Modern Lovers quand Hell leur préfère les New York Dolls. Qu’importe : les deux comprennen­t qu’il faut monter un groupe de rock. Billy Ficca, batteur d’exception, les rejoint à la ville pendant que Hell, ce modiste, invente la coupe punk. Ces trois éphèbes sont repérés par Terry Ork, un mondain introverti, faussaire de Warhol. Il les prend en “management” et leur présente Richard Lloyd, second guitariste. Dès leur premier concert, Verlaine a l’intuition que son jeu de guitare peut porter le groupe dans la stratosphè­re. Rapidement, il se débarrasse de Hell et le remplace par Fred Smith, bassiste des Stilettos, ancêtre de Blondie. Tom a la main sur son groupe, le fait cravacher, donne ses parties à Lloyd. Une brève aventure avec Patti Smith — imaginer l’embarras durant les coïts — leur ouvre les portes d’Arista qui leur fait enregistre­r de nouvelles démos. Verlaine veut les pleins pouvoirs. Elektra les lui offre, s’il accepte un homme expériment­é dans le studio. Ce sera Andy Jones, dernier homme à avoir enregistré les Stones avec Mick Taylor. Le bruit magique est enregistré live, souvent en une prise, au studio A&R en septembre 1976. Le jeu de Ficca ou le goût de Verlaine pour les modes myxolydien­s ne suffisent à expliquer ce que la bande capta. La richesse de Television tient dans la vision musicale de son leader. Ecouter la prise alternativ­e de “Marquee Moon” pour s’en convaincre : bien qu’il commence son solo différemme­nt de celui du disque, il sait où il doit aller, par quelle ascension vertigineu­se il doit passer pour atteindre ces dernières phrases magiques qui, répétées par le groupe entier, ont la beauté de l’ouverture d’un dahlia. C’est ainsi que Verlaine se fit poète : par la Fender Jazzmaster. THOMAS E. FLORIN

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