Iggy Pop
“THE IDIOT” VIRGIN
En deux ans, durant lesquels le monde vibre pour “Hotel California” et autres scies de Journey, Eagles ou Boston, David Bowie enregistre six albums qui vont marquer les dix années à venir. Après “Young Americans” et “Station To Station “ouvrant la voie d’un néoromantisme electro-funk, il invente avec Eno la new wave : ambient et robotique avec “Low”, héroïque avec “Heroes”, mondialiste avec le panafricain “Lodger”. En attendant, retranché sur un côté de la scène et vaguement hilare, Iggy Pop, le döppelganger suicidaire, l’Iguane psychotique, observe, admire et patiente. Bowie vient de le tirer de l’asile psychiatrique où il s’est vu trop souvent lui-même finir, après avoir halluciné des jours durant sur la présence d’extraterrestres et autres Bêtes de l’Apocalypse au bord de la piscine remplie de serpents de sa villa de Bel Air. Le salut mental du Britannique avide de sensations fortes et de l’ami américain passe par un retour aux sources européanistes en diable. Après le château d’Hérouville en France pour “Low” et “The Idiot”, le duo s’exilera à Berlin pour “Heroes” et “Lust For Life”. Contrairement à la légende, Bowie et Iggy travaillent autant à la musique qu’aux textes des chansons, montant en neige carbonique ce daguerréotype oral de l’ordinaire postindustriel, hurlant de toutes parts une urbanité suffocante. Les garçons de “Sister Midnight” revisitent OEdipe en cauchemar, rêvent d’orgies dans le laboratoire désuet de Dracula (“Funtime”), poursuivent les petites filles dans les rues de l’Allemagne de Weimar (“Baby”), tombent amoureux de “China Girl” et se rêvent en Marlon Brando, avant d’être cernés par les cercles concentriques de la “Mass Production”. Au passage, Iggy raconte son histoire (“Dum Dum Boys”) avec la désinvolture d’une vieille trave piquée à la Javel, et le duo dépose un classique programmatique de l’ennui chic des années növo-diskö, l’extraordinaire “Nightclubbing”, déroulant sa mélancolie désinvestie sur un riff de piano cabaret, tronçonné de décharges barbelées du guitariste Phil Palmer. Pour les stoogiens irréductibles horrifiés par ce modèle d’aboutissement esthétique, le duo offrira une suite plus rock’n’roll et autant indispensable, “Lust For Life”, qu’ils réinventeront, l’Iguane au micro et le lettré aux claviers, tous les soirs d’une tournée américaine d’anthologie. ERIC DAHAN