Rock & Folk

Paul McCartney

“CHAOS AND CREATION IN THE BACKYARD”

- ERIC DAHAN

Le meilleur album pop de l’année — certains diront de la décennie — est signé par un homme de 64 ans. Et le voilà qui livre son opus le plus naturellem­ent juvénile et le plus profond depuis le dernier Beatles. C’est qu’il ne doit pas tous les jours être facile d’avoir façonné les tables de la loi de la musique pop, même si de l’electro (“McCartney II” en 1980) au classique (son “Oratorio De Liverpool”) rien de ce qui est musical n’est étranger à McCartney, modèle de versatilit­é stylistiqu­e. Mais pourquoi chercher ailleurs, quand on dispose d’un langage personnel, d’un goût harmonique, d’un sens du développem­ent thématique et d’un talent de parolier et d’interprète vocal qui parlent depuis quarante ans à la planète entière ? C’est aussi ce qu’a dû lui dire Nigel Godrich — recommandé par George Martin — avec pour résultat, cette pureté d’intention et de réalisatio­n qui fait de chacune des treize compositio­ns de “Chaos And Creation In The Backyard” un chef-d’oeuvre de caractéris­ation, du pétulant “Fine Line” ouvrant le bal au finale en forme de “Let It Be” bis intitulé “Anyway”. Certes, on connaît tous les trucs du magicien, le piano qui joue à la croche et laisse la place aux cordes staccato, l’alternance d’accords majeurs et mineurs, les pédales tenues à l’harmonium ou aux vents et la tierce arpégée. C’est ce métier, à l’heure où tout le monde oublie de moduler, qui mis au service d’un sincère désir d’enchanter et d’émouvoir donne leur poids dramatique à “At The Mercy” et “This Never Happened Before” convoquant les cordes de “Abbey Road”, ou sa légèreté de cookie au gingembre au proustien “English Tea” traversé d’un espiègle solo de chalumeau. Godrich a également contraint le maître à jouer lui-même guitares, claviers, basse, batterie et même flugelhorn (le solo très

mitteleuro­pa de “Jenny Wren”), ce qui contribue au sentiment de confidence chaleureus­e émanant de ce disque d’orfèvre. La grâce avec laquelle McCartney peut passer d’un calypso de croisière des années 30 (“A Certain Softness”) à la mélancolie dickensien­ne du hanté “Riding To Vanity Fair” construit sur un intervalle de seconde majeure, tient à ce mélange de candeur et d’expérience qui caractéris­ait déjà “Yesterday”. Le métier s’apprend, Costello l’a prouvé. La grâce, elle, est innée.

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