Of Montreal
“HISSING FAUNA, ARE YOU THE DESTROYER ?”
Présenté sous une magnifique pochette vitrail dépliable, “Hissing Fauna...” n’est pas que le premier disque intégralement réussi du dingue Kevin Barnes. C’est aussi plus simplement un chef-d’oeuvre pop qui parle du seul thème qui compte : l’amour. Malheureux, évidemment. A l’heure du huitième album, Kevin Barnes raconte ici, en jouant quasiment tous les instruments, ce qui s’est passé dans sa vie : un divorce, une bonne dépression, des médicaments, etc. Partant de cette thématique, l’Américain (d’Athens, mais vivant à l’époque en Norvège) évite de saisir la guitare en épicéa de mise dans ces cas-là et choisit au contraire d’enregistrer cette chose luxuriante, synthétique, bidouillée. Les chansons s’imbriquent parfaitement au point que les trois premières plages s’écoutent comme une pièce de Brian Wilson jouée dans un contexte futuriste : synthétiseurs plastoc façon Cars, boîte à rythmes naïve, son de basse enfantin. Barnes chante d’une étrange voix aiguë et superpose des strates de choeurs à l’hélium, sonnant tantôt comme des Beach Boys funky (“Gronlandic Edit”), voire comme Prince. Sa grande force : faire passer les paroles les plus dures comme une comptine acidulée. “Hey, les médicaments, s’il vous plaît, ne me bousillez pas encore une fois !” (“Heimdalsgate Like A Promethean Curse”). Sommet parmi d’autres, “A Sentence Of Sorts In Kongsvinger”, titre pop enjoué, à tiroirs, où l’auteur narre l’effondrement de sa vie amoureuse survenu à Oslo : “Je sentais l’obscurité des groupes black metal locaux m’envahir”. Empilant les couches, les bruits, les climats, “Hissing Fauna...” s’apprivoise en plusieurs explorations, nécessaires pour apprécier les arrangements labyrinthiques. Le tunnel central “The Past Is A Grotesque Animal”, 11 minutes au compteur, s’avère vite indispensable. Insistons : malgré ces titres imprononçables — on dirait du Gorky’s Zygotic Mynci — “Hissing Fauna...” ne s’adresse pas exclusivement aux excentriques, amateurs d’omelettes aux champignons accompagnées de mouillettes à l’acide. Barnes ici ne perd pas le fil. Les Flaming Lips ont souvent tenté d’obtenir le même résultat, sans jamais composer aussi bien. Coup de chance, après l’enregistrement, la femme de Barnes est revenue. Happy end, donc, et victoire grandiose pour tous les paumés de la planète.